Sortir du monde du “devrait”

Une tasse de thé pour se reconnecter au moment présent.

Julie se balade dans la rue, son paquet à la main.

Elle arrive au bureau de poste et se dirige vers la machine pour affranchir.

Une feuille masque l’écran : En Panne.

Julie lève les yeux au ciel.

— Punaise, ça devrait marcher ce genre d’appareil.

Elle regarde la longue file d’attente pour le guichet et soupire.


Julie sort du bureau de poste en soufflant longuement, comme si elle venait de lever une grosse charge.

— Une demi-heure pour poster un paquet, s’exclame-t-elle, ça devrait prendre 3 minutes …

Son téléphone l’interrompt avec une sonnerie stridente.

— Allô ?

— Oui bonjour Madame, je vous contacte à propos de votre demande de résiliation de votre contrat, il manque un document pour finaliser votre dossier.

— Encore, mais ça fait 3 fois que vous me demandez un document pour terminer ce contrat, vous ne pouviez pas me demander tous les documents en une fois ? ça devrait être simple ce genre de procédure !

— Je suis désolé madame, il nous manque un simple justificatif de domicile, car celui que vous nous avez envoyé est expiré, répond l’interlocuteur poliment.

— Evidemment si vous mettez 3 mois à traiter mon dossier, les documents que vous demandez ont expiré bien avant, ça devrait prendre quelques jours seulement ce genre de choses ! s’emporte Julie.

Puis après s’être rendue compte de son ton, elle prend une grande respiration pour faire redescendre la pression et reprend :

— Ce n’est pas contre vous, hein, c’est contre la procédure que je m’emporte, s’excuse-t-elle. Je vous envoie ça à la même adresse email ?

— Oui je comprends, répond la personne au bout du fil, alors … non, pour le justificatif de domicile, c’est un autre département qui s’en occupe désormais et il faut leur envoyer par courrier postal.

La pression à l’intérieur de Julie remonte en flèche.

— Vous vous fichez de moi ?! on est en 2024 et il faut que je vous envoie un courrier POS-TAL pour un justificatif de domicile ?! Je sors littéralement du bureau de poste !

— Je comprends, je comprends, c’est un service qui est en cours de restructuration et ils n’ont pas encore la possibilité de recevoir des emails de la part des clients, répond poliment l’interlocuteur.

— Non mais on croit rêver, en 2024, ce genre de choses devrait pouvoir se faire par email, bon sang !

— Vous avez de quoi noter l’adresse postale ? continue l’interlocuteur ignorant la dernière réponse.

— Vous pouvez me l’envoyer par texto ? demande Julie avec une lueur d’espoir.

— Non, nous n’avons pas la possibilité d’envoyer des textos à nos clients …

Julie pose la main sur son front en fermant les yeux.


— Et je suis retournée au bureau de poste pour noter l’adresse, tu te rends compte, en 2024 ? ça devrait être rapide et simple !

Julie a retrouvé sa meilleure amie Carine pour le repas de midi, qui lui sourit gentiment sans rien dire depuis 10 minutes.

Un client entre dans le café et l’attention de Julie est attirée par les titres d’un journal sur le côté du comptoir.

— Le gouvernement vient de faire passer cette loi, c’est quand même fou ! Le parlement devrait bloquer ce genre de propositions, c’est leur rôle !

Le serveur apporte l’addition sur la table.

— Regarde, dit Julie en prenant le morceau de papier, la note devrait mentionner le détail de la commande, pas simplement le montant à payer. C’est souvent comme ça, tu passes en caisse, ils te donnent un montant à payer et tu n’as aucun moyen de vérifier ! Qu’est-ce que ça m’énerve !

— Parlons un peu de toi, demande Carine pour changer de sujet, comment tu te sens ces derniers temps ?

— Je suis fatiguée, hésite Julie comme si elle avait besoin d’un moment pour trouver la réponse. J’ai des maux de tête régulièrement, un peu stressée aussi, je ne dors pas bien, je n’avance pas dans ce que j’ai à faire … Oui ce n’est pas la grande forme ! finit-elle par avouer en interrompant un début de rire.

— Et tu t’es demandée pourquoi ? demande Carine le visage neutre.

Julie la dévisage, ne sachant pas quoi penser.

— Euh là comme ça, non, c’est la période qui veut ça peut-être, mais te connaissant, je crois que tu as une idée derrière la tête ?!

Carine esquisse un sourire.

— J’ai bien une idée, répond-t-elle sobrement avant de reprendre une gorgée de sa tasse de thé.

— Allez, vas-y te fais pas prier, tu sais que j’apprécie ta perspective sur les choses … pas les 5 premières minutes mais après si !

Les deux amies laissent échapper un rire.

— Tu vis dans le monde du “devrait”, dit sobrement Carine.

— Dans le monde du “devrait” ? demande Julie en fronçant les sourcils.

— Les choses DEVRAIENT être comme ça, dit Carine en insistant, ça DEVRAIT fonctionner de cette manière, le gouvernement DEVRAIT faire ceci ou cela. La note DEVRAIT mentionner les détails.

— Bah oui et alors, le monde fonctionnerait bien mieux si c’était le cas, tu ne crois pas ? se défend Julie.

— Ah oui, j’en suis convaincue aussi, répond Carine. Sauf que dans le monde actuel, dans la réalité actuelle, cela ne fonctionne pas comme ça. Et c’est ça qui te stresse.

— Bah oui, si ce n’est pas efficace, ça m’énerve ! répond Julie à moitié en rigolant.

— Ce qui te stresse véritablement, c’est le décalage entre la réalité et ce que tu penses que la réalité devrait être …

— Attends, quoi, c’est pas très clair, là, c’est français même ? demande Julie moqueuse.

— Tu n’es pas dans le moment présent, répond Carine, tu ne regardes pas le monde tel qu’il est. Tu vis dans un monde imaginaire, où les choses sont différentes, elles sont comme tu aimerais qu’elles soient. Mais elles ne sont pas comme ça ici et maintenant, dans le monde réel, termine Carine en toquant sur la table devant elle. La raison pour laquelle tu stresses, c’est que tu n’accueilles pas les choses telles qu’elles sont.

— Attends, dit Julie en levant la main, tu ne peux pas me demander d’accepter le monde tel qu’il est aujourd’hui, ce serait insupportable pour moi !

— Ta ta ta, je n’ai pas dit “accepter”, j’ai dit “accueillir”. Tu peux très bien accueillir une situation que tu n’aimes pas et aspirer à la changer, la transformer vers un idéal plus élevé. Mais tant que tu n’accueilles pas les choses telles qu’elles sont, tu n’as pas de levier d’action dans le concret, parce que tu vis dans un monde imaginaire, dans le monde du “devrait”.

Julie ronchonne un peu.

— C’est vrai que j’arrête pas de penser et de me dire que les choses devraient être différentes, avoue-t-elle.

— Tu disperses ton énergie à te dire que les “choses ne devraient pas être comme ça” au lieu de canaliser ton énergie dans ce que tu peux effectivement faire toi, à ton niveau. Et peut-être que tu ne peux rien faire, toi à ton niveau sur un sujet particulier et c’est ok. Mais au moins, si tu arrêtes de résister à ce qui est, tu seras moins stressée, tu te prendras moins la tête et tu retrouveras un peu de sérénité et plus d’énergie pour agir concrètement.

Julie reste silencieuse.

Carine interpelle le serveur.

— S’il vous plaît, on pourrait avoir la note détaillée avant de régler ?

Le serveur jette un regard derrière lui et se penche pour être discret dans sa réponse.

— Vous pourriez aller demander au patron au comptoir ? Quand ça vient de moi, il ne m’écoute pas et ne veut pas le faire. Mais venant des clients, il sera bien obligé. A force, il le fera automatiquement.

— Pas de problème, on va faire ça ! répond Carine en souriant à Julie.

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11 réflexions au sujet de “Sortir du monde du “devrait””

  1. Cette histoire est réelle et le conseil de l’amie est réel aussi…
    J’ai fait un burn-out en 2016, je viens de divorcer et bien entendu, avec tous les papiers administratifs à faire changer pour apposer le divorce et mon nom de jeune-fille, j’ai rencontré la même problématique de « serait », j’en ai même déclenché un psoriasis… et pourtant j’ai travaillé sur moi depuis 2016, mais j’ai encore du travail !

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  2. Merci pour cette histoire entre le monde imaginaire et le monde réel, c’est tellement vrai que le “devrait” est source de stress car la réalité telle q’elle se présente n’est pas accueillie ! Je suis passée par là et essaie d’accueillir les situations même si ce n’est pas évident à faire cette bascule à l’intérieur ! Le temps est un allié, pas un ennemi pour les changements. Etre bienveillant avec soi-même, ainsi tout va bien.

    Merci de nous éclairer comme vous le faites avec les histoires parlantes, sympa et les citations. Vous êtes un compagnon de route.

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    • Superbe réponse, parce que vous avez rajoutez le fait d’être bienveillant avec soi même….c’est tellement important, avoir de la patience….j’oublie souvent cette étape !

      bonne soirée

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  3. Merci pour ce texte ✨
    En effet je me reconnais avec cette histoire de « ça devrait »
    Je travaille là dessus et tente, de tout mon être, à m ancrer dans le présent 🙏 Merciiiiiiiiiiii🌻

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  4. Merci beaucoup ça me parle .Avant de vous lire , j’étais stressée (sur sujet qui demande une réponse qui n’arrive pas , ça devrait être rapide 😔 mais non ) .. Et voilà qu’après ce texte je suis plus détendue 🙏 merci Jean-Philippe

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  5. C’est tellement vrai si nous faisons le choix de changer d’attitudes où de dialogues avec bienveillance immédiatement lorsque cela ne nous correspond pas la vie serait beaucoup plus sereine et plus authentique.merci à vous pour ce rappel.

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  6. Merci beaucoup, Jean Philippe, j’ai parcouru ces lignes avec concience. Je me suis moquée de moi même, me reconnaissant, il n’y a pas si longtemps. Effectivement, s’entraîner à accueillir est tellelent bénéfique , je le reconnais volontiers, je le retiens maintenant. Merci pour le rappel et pour tes précieux conseils, ils sont vraiment libérateurs.

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