Un jardin rempli d’amour

Cela avait commencé avec plusieurs plants de tomates cerises en trop.

Jérôme avait vu trop grand pour sa terrasse.

Il les avait alors déplacés de sa jardinière pour les mettre au fond du jardin commun de la résidence, près des grilles, sans grande attente.

— Si ça prend, tant mieux, si ça ne prend pas, tant pis !

Jérôme les avait ensuite complètement oubliés.

C’est au cœur de l’été en regardant par la fenêtre qu’il vit un garçon s’accroupir près des grilles et cueillir une petite boule rouge, avant de s’en aller, comme s’il avait peur d’être pris en faute.

Jérôme esquissa un sourire en mettant ses chaussures pour aller voir de plus près.

Les poings sur les hanches, il ne cachait pas sa satisfaction.

Les plants avaient pris.

Et ils avaient sacrément grandi, en toute discrétion.

Il prit alors le temps de les réordonner, il chercha un peu de ficelle pour les attacher au grillage.

Cette partie du jardin prit en moins d’une heure un tout autre aspect.

Les grilles grises étaient recouvertes de couleurs vertes et les tomates cerises les égaillaient comme des boules sur un sapin de Noël, invitant à un apéritif convivial.

Jérôme flottait dans sa bulle de contemplation.

— Vous avez demandé l’autorisation pour faire pousser ça ? demanda Gisèle, une propriétaire, sans sommation.

La bulle de Jérôme éclata aussitôt.

Pour lui, ça ne gênait personne, et c’était pour tout le monde, en plus d’être joli.

Il ne s’était même pas posé la question de savoir si ça pouvait embêter quelqu’un ou s’il fallait une autorisation.

Gisèle reprit :

— Le règlement de copropriété indique bien qu’il faut laisser les jardins en l’état ! Vous les locataires, vous vous fichez bien des règles hein ! Je vais devoir le signaler au syndic !

— Allons, allons Gisèle, il faut admettre que cela apporte un peu de gaieté sur ces grilles, interrompit Irène, une autre propriétaire qui passait par là.

Elle se pencha pour attraper une tomate cerise bien juteuse.

Elle fronça les sourcils quand elle la croqua.

— Hmm, hmm, tenta-t-elle de parler sans faire tomber de jus de sa bouche, elles sont succulentes en plus, prends en une Gisèle, faut que tu essaies ! lança Irène en lui tendant une tomate cerise.

Gisèle refusa d’un geste, les lèvres serrées et le visage rouge.

— Je suis désolé, je n’ai pas réfléchi, je ne pensais pas que ça allait prendre autant et je ne savais pas qu’il fallait une autorisation, s’excusa Jérôme. Ce n’est pas pour moi, c’est pour tout le monde, se justifia-t-il. Et s’il faut les enlever, je les enlèverai … à contre-cœur tout de même, elles sont magnifiques…, avoua-t-il enfin.

— Ne vous en faites pas, jeune homme, répondit Irène, j’en toucherai un mot au syndic, cela ne posera pas de problème, j’en suis sûr. Si besoin je leur ferai goûter et ils seront bien obligés de reconnaître que c’est une bonne idée ! termina Irène en regardant Gisèle.

Cette dernière tourna les talons sans mot dire et s’en alla.

Deux semaines plus tard était prévu l’apéro “tomate-cerises”.

L’enchaînement d’événements avait été surprenant depuis le jour où Jérôme avait attaché les pieds de tomates sur les grilles.

Les habitants de la résidence étaient venus voir de plus près, goûter, discuter, échanger les uns avec les autres profitant des soirées estivales propices à la détente.

Et puis une affiche dans le hall avait annoncé cet apéro commun.

Un air de réjouissance parcourait la résidence sauf à un endroit, où le mécontentement avait cédé la place à la rancœur et la rancœur à la colère.

C’est la veille de l’apéro que la colère se transforma en rage …

Jérôme rentrait chez lui avec quelques courses, il voulait préparer une tarte aux tomates cerises justement pour l’apéro commun.

Au moment de sortir les clés de sa poche, il vit un attroupement dans le coin des tomates cerises.

Il regarda l’heure et se dit qu’il était encore tôt pour commencer, mais il comprit rapidement que l’ambiance n’était pas à la détente.

De grands gestes, des éclats de voix intenses, des regards noirs …

— Qu’est-ce qu’il se passe donc ? murmura-t-il en se rapprochant doucement.

— C’est vous qui avez fait ça ?! demanda un homme moustachu, les poings serrés.

— Oui, je suis désolé, je ne savais pas qu’il fallait une autori… commença à s’excuser Jérôme presque machinalement.

L’homme poussa un râle en levant le poing qui fut aussitôt interrompu par un geste d’Irène.

— Non, non, calme-toi Gérard, c’est ce jeune homme qui a planté les tomates-cerises.

L’homme à la moustache changea de visage aussitôt, prenant un air attristé.

— Regardez, ce qu’ils ont fait ! dit-il en montrant les grilles du jardin.

Les pieds de tomates avaient été arrachés, vandalisés, écrasés.

Jérôme garda un air impassible.

— C’est tout ce que ça vous fait ? demanda l’homme à la moustache sur un ton de reproche.

— Je … je ne sais pas quoi dire, c’est dommage oui, tant pis ! tenta de répondre Jérôme en regardant les grilles.

— Rrrrrh, si j’attrape la personne qui a fait ça, continua à l’homme à la moustache en serrant les poings.

— Tu ne feras rien du tout, Gérard, termina Irène. On peut quand même se retrouver tout à l’heure pour notre apéro !


Jérôme profitait des dernières lueurs du jour pour marcher dans le jardin.

L’apéro avait été un demi-succès.

Certes, les habitants de la résidence s’étaient retrouvés mais la teneur des discussions était à l’image des pieds de tomates.

Jérôme s’était d’ailleurs discrètement éclipsé.

Il était revenu plus tard dans la soirée pour revoir l’état des pieds de tomate, les mains dans les poches.

Isolé dans sa bulle, il n’entendit pas des pas prudents approcher.

Mais quand il sentit cette présence, il se retourna doucement et aperçut dans la pénombre la silhouette de Gisèle.

— Bonsoir, lança-t-il pour briser le silence.

— Je suis désolé, jeune homme, commença Gisèle qui éclata en sanglots, je ne sais pas ce qui m’a pris, c’était plus fort que moi, je n’ai pas supporté … et tous ces gens réunis … d’habitude, on ne se parle pas et là tout le monde était là … et je n’ai pas osé descendre après …

Ses phrases n’avaient ni queue ni tête.

Jérôme essayait de comprendre mais les larmes emportèrent les dernières paroles intelligibles de Gisèle.

D’un geste elle montra les pieds de tomates, d’un autre semblait être désolée de leur état.

Jérôme sans rien dire s’approcha, en ouvrant les bras devant lui comme une invitation.

Gisèle avança d’un pas vers lui et posa délicatement sa tête sur sa poitrine.

Un flot de larmes coula sur le t-shirt de Jérôme qui n’en avait que faire.

Ils restèrent là de longues minutes sans rien dire, rythmées par les sanglots et la respiration saccadée de Gisèle.

Le barrage avait cédé.

Le trop plein se vidait.

Les tensions se dissipaient.

Le brouillard se levait.

Gisèle se recula doucement, prit un mouchoir de sa poche et s’essuya doucement les yeux.

— Ils étaient magnifiques, vous savez, dit-elle d’une petite voix.

Jérôme sourit.

— Quelques-uns sont encore en état, vous voulez m’aider à les remettre sur pied ?

Jérôme perçut une étincelle briller dans les yeux de Gisèle malgré la pénombre.

Ils se mirent tous les deux au travail malgré l’heure tardive.

— Vous pensez qu’ils vont pouvoir reprendre comme il faut ? ils étaient si beaux … soupira Gisèle.

— Il n’y a rien qu’un peu d’amour ne puisse réparer, répondit Jérôme.

Ils échangèrent un sourire.

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17 réflexions au sujet de “Un jardin rempli d’amour”

  1. Le plan de tomates cerises écrasées c est l’agression sans motif, le meurtre sans motif, les vols, la destruction, la haine, la séparation, le repli identitaire, les armements. C est là où manque l Amour.
    Merci et bonne journée Jean Philippe.

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  2. Bjr, cette histoire est magnifique et touchante. A l’image de la société .
    Oui , l’amour est la solution à tout.👍✨ je lys vos écrits chaque jour. J’adore conversations avec Dieu et les livres de Neale.
    merci
    Michèle

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  3. Si beau, si touchant, tellement à l’image de ce dont nous sommes capables comme actes généreux ou désolants.
    J’aime beaucoup tes histoires Jean-Philippe 🙂

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  4. Le calme face aux reproches
    La douceur face au mépris
    La tempérence face à la rage….Relachez la corde qui vous empêche d’aimer, d’apprécier le beau, le bien, d’être bienveillant. Acceptez l’autre, celui-là qui apporte le changement, qui nous permet d’aller vers l’autre et de sortir de la solitude… de partager, communier, de sourire à la vie…l’amour.

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  5. bonjour jean philippe
    merci à ces petites tomates qui ont permis de rassembler
    d’aimer ,de pardonner .un geste simple venant du coeur
    et tout se transforme.
    Merci pour cette merveilleuse histoire.

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  6. En lisant cette histoire, j’ai eu les larmes aux yeux. C’est bien vrai que l’amour peut faire des miracles. Merci d’avoir partagé cette histoire, belle journée dans la lumière 😀

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