Tyrom et le miroir de la vérité

— Marika ?

Le jeune Tyrom pousse un peu plus la porte pour entrer chez la vieille dame.

Il pose sur le coin de la table le panier contenant quelques victuailles, en faisant attention à ne rien bousculer.

Elle était remplie d’ingrédients en tout genre, de livres, de fioles, de récipients d’où sortait parfois une fumée colorée.

— Qu’est-ce qu’elle fabrique encore ?

Cela faisait des années qu’il venait aider Marika, une vieille amie de ses parents qu’il lui avaient demandé de prendre soin d’elle. Il fallait bien que quelqu’un l’aide à garder les pieds sur Terre, pensait-il.

Il lui apportait des œufs, des légumes, préparait parfois à manger, faisait un peu de ménage ou l’aidait avec ses visiteurs.

En effet, des personnes venaient la voir tous les jours dans son antre au bout du village, parfois après des heures, voire des jours de marche.

Elle les accueillait dans sa cuisine, leur parlait tout en préparant des potions en faisant des grands gestes dans le vide, des potions au final qu’elle ne leur donnait parfois même pas !

Tyrom se demandait bien ce qu’elle fichait exactement, mais les personnes repartaient satisfaites et soulagées.

— Bonjour Tyrom, dit Marika en entrant dans la pièce par une petite porte, viens, suis-moi.

Tyrom, silencieux, lui emboîte le pas derrière cette porte.

L’instant lui semble soudain solennel car c’est la première fois qu’il entre dans cette partie de la maison qui lui est d’habitude interdite.

Il découvre alors une immense pièce remplie d’objets, avec une immense cheminée et un fauteuil, de nombreux tableaux et un immense miroir.

— Tu ne sais pas qui tu es, Tyrom, pas encore, lui dit-elle le sourire aux lèvres.

Tyrom se demande bien ce qu’elle raconte tout en continuant à explorer la pièce du regard.

— Tu crois que tu es là pour m’apporter des œufs, des légumes, me faire une omelette de temps en temps et passer le balai, continue-t-elle. Peut-être même que tu crois que tu es là pour prendre soin de moi, pour faire en sorte que je garde les pieds sur Terre …

Le jeune garçon déglutit, n’osant plus penser si jamais la vieille peut l’entendre !

— Mais tu es là depuis plusieurs années pour bien plus que tu ne crois, tu es là en apprentissage, mon garçon.

— En apprentissage ? répète Tyrom, surpris.

— Je t’ai connu petit garçon et j’ai remarqué certaines habilités chez toi dès ton plus jeune âge, explique-t-elle. Il a été convenu avec tes parents que je te prendrais comme apprenti.

Tyrom fronce les sourcils, n’étant pas sûr d’adhérer à cette perspective sur ces dernières années.

Marika se tourne vers lui.

— Tu te demandes si je délire, n’est-ce pas ? demande-t-elle d’un air espiègle. Tu penses t’être occupé de moi pendant toutes ces années, mais c’est moi qui me suis occupée de toi. J’ai posé les bases de ton apprentissage et aujourd’hui, il est temps de passer à la phase suivante.

— La phase suivante ? se contente de demander Tyrom, toujours sceptique sur cette manière de voir les choses.

— Pour continuer à évoluer, tu as besoin de changer de perspective sur qui tu es, et ce miroir va t’y aider.

Tyrom tourne son regard vers le miroir sans bouger.

Marika reste silencieuse et fait un geste de la main pour l’inviter à se rapprocher du miroir.

Tyrom s’approche lentement, suspicieux du sourire en coin de Marika.

Son reflet grandit à mesure qu’il s’approche du miroir.

Il s’observe quelques secondes, ne remarque rien de particulier à part quelques tâches ici et là sur sa tenue, et finit par se tourner vers Marika, en levant simplement les sourcils pour guise de question.

— Regarde avec ton cœur pas avec ta tête ! lui répond-elle en ouvrant grand les yeux.

C’est ce qu’elle dit souvent aux personnes qui viennent la voir, il se souvient alors qu’il faut qu’il prête attention à sa respiration.

Il se redresse devant le miroir puis inspire lentement avant d’expirer.

Une fois, deux fois.

— Ouvre-toi à qui tu es vraiment, oublie qui tu penses être.

Tyrom respire profondément face au miroir et son reflet semble de plus en plus flou.

Le contour de sa silhouette semble de plus en plus lumineux, jusqu’à ce que le reflet de son corps se transforme.

Il cligne plusieurs fois des yeux pour être sûr.

Mais aucun doute, son corps semble se remplir d’une lumière avec différentes variations de couleur et d’intensité.

Tyrom lève lentement son bras et observe l’énergie qui semble entourer son avant-bras.

— Tu es bien plus qu’un corps physique, Tyrom, il est temps pour toi d’intégrer cela pour continuer sur ton chemin d’apprentissage. Tout comme tu prends soin de ton corps physique, tu le nourris, tu le nettoies, il te faut prendre soin de ton corps énergétique.

Tyrom reste silencieux à observer son reflet énergétique dans le miroir.

— Tu te nourris et tu te laves parce que tu sais que tu as un corps physique. Mais tu es bien plus que ça, et tu le vois maintenant. Maintenant que tu sais que tu es plus que ton corps physique, il est temps de prendre soin de l’entièreté de qui tu es, et d’agir avec l’entièreté de qui tu es.

— Qu’est-ce que cela veut dire ? demande Tyrom, toujours en train d’essayer de comprendre, face au miroir.

— Lorsque tu balaies une pièce, tu agis avec ton corps pour nettoyer la poussière physique de la pièce. Lorsque tu poses l’intention de nettoyer la pièce, tu agis avec ton énergie pour nettoyer la poussière énergétique de la pièce, répond-elle.

Tyrom se tourne vers Marika, le regard rempli de doutes.

— Sans intention sur le monde tel qu’il est vraiment, physique et énergétique, tu n’agis que sur la partie physique. C’est comme si tu écrivais une phrase sans aucune intention dans ce que tu veux dire. Du coup, elle n’a aucun sens : La maison nage pour la tomate avec l’échelle sur la chaussette. Certes j’écris une phrase mais je n’y mets aucune intention, elle n’a donc aucun sens. J’ai parlé, j’ai dit quelque chose, mais cela n’a aucun impact ou presque.

Marika fait une pause pour laisser le temps à Tyrom d’intégrer.

— Pour nos actes, c’est la même chose, sans intention dans ce que je fais, ça n’a aucun sens, ce ne sont que des gestes aléatoires dans le vide. Mais des gestes aléatoires dans le vide, portés par une intention, ont en fait beaucoup de sens !

Tyrom re-pense alors aux grands gestes dans le vide de Marika lorsqu’elle prépare ses potions pour ses visiteurs.

Se pourrait-il qu’elle ne fasse pas n’importe quoi en fin de compte dans ces moments-là ?

— Pour commencer à agir sur le monde dans son entièreté, il faut changer ta conception du monde et le percevoir pour ce qu’il est vraiment, et donc commencer par TE percevoir tel que tu est vraiment, à savoir bien plus qu’un corps physique.

Tyrom détourne son regard du miroir et balaie des yeux la pièce.

Tout semble prendre une couleur différente, et lorsque son regard se pose sur Marika, il découvre une silhouette très lumineuse, presque éblouissante au niveau du cœur.

Il n’en croit pas ses yeux.

C’est comme s’il la voyait pour la première fois, une beauté non pas physique mais énergétique et le cœur de Tyrom se remplit d’une sensation nouvelle de plénitude, comme s’il ressentait un peu plus la Vie en lui.

— Ça y est, je crois que tu as compris, dit doucement Marika, il était plus que temps que tu prennes conscience de tout cela.

— Qu’est-ce que je vais faire à partir de maintenant ? demande Tyrom, impatient désormais de découvrir la suite de son apprentissage.

— La même chose qu’avant …, commence Marika.

Tyrom ne cache pas sa déception.

— La même chose qu’avant … mais en conscience de qui tu es vraiment désormais, termine Marika.

Tyrom se tourne à nouveau vers le miroir, se regarde longuement et sourit.

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