« Une de perdue, dix de retrouvées »

Ruines Photo by Vasile Taranovici on Unsplash

« C’est cette grande bâtisse atypique en pierres au pied de la colline ! »

Vincent vient d’hériter.

Il découvre aujourd’hui le bien qui lui revient.

« Atypique », c’est très vendeur, se dit Vincent.

Il ne saurait même pas comment le décrire.

Au cours des siècles, les propriétaires successifs semblent avoir ajouté des parties tant bien que mal, sans vision globale aucune, créant ainsi un immense monstre architectural tentaculaire.

« Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de tout ça », se dit Vincent en se parlant à soi-même.

Dans sa tête, difficile d’avoir une vision écologique et harmonieuse du lieu.

Il ne sait pas encore s’il doit se réjouir mais le notaire qui lui fait la visite semble enthousiaste, voire envieux.

« Bien sûr, il y a des améliorations à apporter, un peu de rénovation et de modernisation ici et là mais pour les fondations c’est du solide ! Tous les bâtiments du coin ont été construits comme ça. Ca vous fera une magnifique demeure. »

« Vous avez des enfants ? », demande-t-il encore après une pause.

Vincent reste silencieux.

Sa vision n’est pas claire du tout mais il sent qu’il doit signer les papiers.

Quelques jours plus tard, c’est chose faite et il se met au travail.


Il découvre dès les premiers jours que la bâtisse a son lot de contraintes et que les premiers travaux qu’il envisageait pour rénover et moderniser sont loin d’être aussi simples.

Très vite, il se rend compte aussi que les autres idées qu’il avait ne sont pas faisables.

La structure alambiquée n’est pas modulable, toucher à un mur oblige à toucher à tous les murs alentours.

Il se rend compte que ce n’est pas le travail de quelques personnes, mais qu’il va falloir bien plus de monde pour en venir à bout.

Les voisins qui passent par là, ont également leur mot à dire, de manière plus ou moins insistante :

« Vous ne devriez pas toucher à la structure, c’est un coup à ce que tout le bâtiment s’effondre ! »

« Vous ne devriez pas changer quoi que ce soit, cela fait plusieurs siècles que c’est comme ça, pour qui vous prenez-vous ? ».

L’impact des commentaires désobligeants n’est que de courte durée.

En fait, très vite, Vincent se rend compte que la bâtisse n’est pas si solide que ça, que les fondations et la structure globale montrent des signes de faiblesse.

Il fait appel à Paul, son ami d’enfance, qui vient à la rescousse dès le lendemain.

Le projet de rénovation devient un projet de consolidation, pour ne pas dire de sauvetage.

Plus que jamais maintenant, Vincent doit empêcher le bâtiment de s’effondrer.

L’ampleur de la tâche est immense et l’urgence augmente avec l’arrivée de l’hiver.

La bâtisse semble jouer avec Vincent, enfin surtout avec ses nerfs.

Les remarques toutes faites de Paul n’arrivent pas à détendre l’atmosphère :

« Dis donc, heureusement que tu n’es pas marié, hein, hahaha ! ».

Lorsqu’ils arrivent à consolider un morceau, un autre semble prendre le relais et montre des signes accrus de faiblesse.

Vincent commence à se dire que c’est sans fin, comme des pompiers qui ont perdu le contrôle d’un feu.

D’autant qu’il découvre encore la bâtisse au fur et à mesure, il est loin de connaître tous ses secrets.

L’hiver est là, plus rigoureux que jamais.

Ses tempêtes, ses températures extrêmes, ses vents violents.

Vincent fait le dos rond, en espérant que la bâtisse fasse de même face aux intempéries.

Après des mois et des mois de travail, l’énergie et le moral lui manquent.

Lorsqu’un arbre gigantesque, déraciné par le vent et la pluie, s’effondre un soir en travers du bâtiment, Vincent sait que c’est la fin.

Il se met à pleurer en voyant la bâtisse s’écrouler comme un château de cartes.

Les murs s’écroulent les uns après les autres.

C’est à se demander comment tout cela a pu tenir aussi longtemps.

Paul lui met la main sur l’épaule : « Une de perdue, dix de retrouvées. », dit-il sur un ton solennel, comme s’il s’agissait d’une sagesse profonde.


Le réveil du lendemain est douloureux, Vincent a la gueule de bois.

Il se sert une tasse de café et se met à contempler les ruines.

Les heures passent, les jours passent.

Vincent reste souvent planté là, au milieu des ruines, toujours une tasse de café à la main, comme dans un état de méditation.

Les paroles de Paul lui reviennent un matin : « Une de perdue, dix de retrouvées ».

Il les répète à voix basse comme s’il devait comprendre quelque chose.

Un après-midi, il aperçoit Paul en train de gesticuler en haut de la colline à proximité.

Il ne comprend d’abord pas et se résout à le rejoindre, piqué par la curiosité.

Arrivé auprès de lui, Paul lui envoie sans ménagement :

« Alors ? ça fait du bien de sortir la tête de ton c*l ? ».

Vincent lève les yeux au ciel, fait demi-tour mais s’arrête net face aux ruines.

Le brouillard dans sa tête se dissipe, laissant place à une vision de plus en plus claire.

Depuis le sommet de la colline, tout lui paraît maintenant évident.

Ce n’est pas UNE bâtisse immense qu’il va reconstruire mais plusieurs petites maisons, interconnectées, qui vont mutualiser leurs équipements et mieux répartir les ressources du lieu.

A mesure que sa vision prend forme dans sa tête, son visage s’éclaire.

« Jamais vu un mec aussi ravi de contempler ses propres ruines ! », lui dit Paul en rigolant bruyamment.

Vincent se tourne vers son ami, lui met la main sur l’épaule et lui dit en souriant :

« Une de perdue, dix de retrouvées ! ».

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1 réflexion au sujet de « « Une de perdue, dix de retrouvées » »

  1. Coucou Jean Philippe, Merci pour cette histoire inspirante, j’aime te lire, depuis notre rencontre sur les chemins de la conscience j’ai poursuivi le chemin, je peux voir du haut de la colline, le chemin parcouru, avec toi, avec vous, et ensuite avec cet atelier d’écriture de 44 semaines que j’ai terminé la semaine de Noël….la conscience toujours, un autre chemin pour un résultat intérieur qui me donne la joie, tout est facile maintenant, je n’oublie pas que ce chemin de vie, est toujours rempli de beaux cadeaux. La façon de regarder une situation change tout, comme dans cette histoire, bonne année à toi, si tes chemins passent pas Nantes, n’hésites pas à t’arrêter, tu es le bienvenu ! Bisous, Colombe

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