Bon ou mauvais réflexe ? ré-éducation consciente

— Bon alors, je récapitule …

Hélène lève les yeux au ciel, “c’est bon, on a compris”, se dit-elle.

Elle trépigne d’impatience et joue avec le coin des pages de son manuel de pilote de planeur sur les genoux, pendant que l’instructeur boucle la leçon du jour sur le décrochage d’un appareil.

— lorsque l’appareil décroche, vous poussez le manche à balai pour retrouver de la portance avant de le tirer à nouveau pour remettre l’appareil à l’horizontal. Votre réflexe sera de vouloir tirer tout de suite sur le manche pour redresser le nez, ce qui entraînera un autre décrochage …

Hélène n’écoute plus, elle a vu sur le tableau de l’aéroclub ce matin qu’elle était la première à passer pour la leçon du jour et elle est prête.

Elle a regardé la veille des vidéos sur le décrochage, lorsqu’un avion ou un planeur essaie de monter trop vite et “décroche”, le nez de l’appareil pique vers le sol soudainement, ce qui peut mener au crash.

Elle a déjà expérimenté le décrochage avec un autre instructeur, René, donc elle se sent en confiance.

— Bon pour tout le monde ? demande l’instructeur.

Hélène espère secrètement que la salle reste silencieuse.

— Bon, ben c’est parti, passons à la pratique ! Hélène, tu es la première, va faire le tour de ton planeur et on va décoller.

Hélène bondit de sa chaise, récupère ses affaires et s’en va sur le tarmac en direction de Juliette-Bravo, un planeur homologué voltige, en double-commande.

Elle fait son “CRIS”, Commandes, Réglages, Instruments, Sécurité : une check-list avant de décoller.

L’instructeur la rejoint alors que l’avion-remorqueur se prépare devant l’appareil.

Tout deux s’installent dans le cockpit, le câble est attaché du côté du remorqueur, puis du côté du planeur.

— India-Mike de Juliette-Bravo, pour test radio, demande Hélène en relâchant le bouton radio du manche à balai.

— Juliette Bravo, d’India Mike, je te reçois 5/5.

Le câble se tend.

Hélène lève le pouce en direction d’un autre élève qui lève l’aile du planeur pour la mettre à l’horizontal.

Le signal est ainsi donné au remorqueur qui met les gaz et le planeur commence à rouler sur la piste.

Quelques secondes plus tard à peine, le planeur décolle à quelques mètres du sol et bientôt, l’attelage s’éloigne du terrain, passe au-dessus de la rivière et se dirige vers le flanc de la montagne.


Hélène a pris de l’altitude rapidement après avoir décroché le câble.

La brise venant de la vallée grimpe le long de la paroi de la montagne. En faisant des allers-retours le long de cette dernière, c’est un véritable ascenseur. Très vite, le planeur se retrouve à 2700 mètres d’altitude.

Et le paysage montagneux devient vite majestueux dans le ciel d’azur.

Le simple souffle du vent sur la verrière, la sensation de flotter tranquillement alors que le planeur passe d’une montagne à une autre à 200 km/h.

Son moment préféré, c’est quand des aigles volent non loin de là.

Hélène déconnecte alors du monde, profite de l’instant présent.

— Bon c’est pas tout ça, on va s’y mettre !

La méditation spontanée d’Hélène est interrompue par l’instructeur.

— T’as déjà fait un décrochage ? demande-t-il.

— Avec René oui, répond-t-elle fièrement.

— Hmmm, ouais ok, allez, on va se mettre au-dessus de la vallée et assurer la sécurité, et on va expérimenter un bon décrochage, ok ?

— Ok.

Par une manœuvre rapide, l’instructeur vérifie qu’aucun appareil n’est présent en dessous et il amorce un décrochage.

Le nez du planeur pointe vers le ciel, le paysage disparaît devant Hélène et la situation devient vite inconfortable.

L’appareil se met à trembler d’un bout à l’autre des ailes et d’un seul coup, la vue depuis le cockpit change du tout au tout, le ciel disparaît et le nez pointe vers le sol.

La violence de la manœuvre surprend Hélène.

Le souffle du vent passe du silence à la puissance d’un sèche-cheveux, les instruments s’affolent, vitesse, altitude, …

Hélène est enfoncée dans son siège et tire tout ce qu’elle peut sur le manche, dans un réflexe pour redresser l’appareil.

Sans résultat.

L’instructeur laisse faire quelques secondes avant d’intervenir directement et pousse le manche à fond vers l’avant.

Hélène sent le manche dans sa main pointer vers l’avant et dans un second réflexe retire à nouveau dessus.

— Hélène, je vais te demander de lâcher le manche maintenant, demande l’instructeur en souriant, devinant la crispation de son élève.

Hélène relâche sa prise sur la commande et s’en remet à l’instructeur, soulagée.

L’appareil redresse ainsi doucement le nez vers l’horizon pour retrouver un vol normal.

— Booonnn ! dit l’instructeur, alors qu’est-ce qu’il s’est passé ? J’ai rien contre René, mais le connaissant, il ne t’a pas montré la même chose, si ?!

Hélène reprend ses esprits.

— Je suis désolé, par réflexe, j’ai tiré sur le manche, s’excuse Hélène. Mais je sais qu’il faut pousser ! se défend-elle dans un sursaut.

— En phase de stress, les réflexes reprennent le dessus et c’est bien normal, dit l’instructeur, c’est pour ça qu’on s’entraîne à quoi que ce soit, pour rééduquer nos réflexes. Car par défaut, ils ne vont pas forcément nous emmener là où on veut aller selon les circonstances.

Hélène acquiesce de la tête en silence.

— Dans le cas du décrochage, c’est contre-intuitif, il faut pousser le manche au lieu de tirer, ça va à l’opposé des réflexes appris jusqu’ici pour piloter un appareil. De nombreux pilotes sont morts à cause du décrochage au début de l’aviation, nos réflexes peuvent nous envoyer droit dans le mur !

— Ou droit vers le sol, précise Hélène.

— Ou droit vers le sol, tu as raison ! sourit l’instructeur. Donc il s’agit de choisir en conscience le comportement, le réflexe qui va te servir dans l’instant, sortir du pilote automatique inconscient et repasser en commande manuelle consciente, malgré les émotions qui peuvent émerger !

— Tu vas nous faire des cours de méditation, maintenant ? se moque Hélène.

— Haha, peut-être bien oui ! Alors ? on remet ça ?

Le planeur est reparti pour plusieurs manœuvres de décrochage et Hélène s’en sort désormais toute seule.

Après un atterrissage en douceur, le planeur s’arrête en bout de piste.

Hélène ouvre la verrière, détache le harnais du parachute et s’affale sur le siège en poussant un long soupir.

— Punaise, j’ai perdu deux litres de sueur ! s’exclame-t-elle.

L’instructeur est déjà sorti du cockpit. Il la regarde en souriant :

— Pas facile de changer ses réflexes hein, mais voilà, c’est réussi, tu pilotes en conscience maintenant ! sourit-il en se tournant vers un autre élève qui arrive. Bon ! Au suivant !


Et en bonus, le planeur en images et en musique : https://youtu.be/a2_ss9y-VjE

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1 réflexion au sujet de « Bon ou mauvais réflexe ? ré-éducation consciente »

  1. Merci pour ce texte très inspirant Jean Philippe. ça m’a fait flipper quand elle a piqué vers le sol..félicitation pour cette comparaison très claire pour toucher du doit le “dés-apprendre” et le conditionnement qu’il nous faut dépasser . merci. Valérie V

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