Des bougies et 20 ans d’amitié

— Santé ! s’exclame Pascal timidement.

— A nos 20 ans d’amitiés ! dit Claude de sa grosse voix.

Toute la tablée lève son verre.

— Comment vous êtes-vous rencontrés au fait ? demande la nouvelle voisine, Sandra.

Les deux amis se regardent, le regard complice.

— C’est une histoire toute bête …, répond Pascal.

— Oui et heureusement qu’on était là, continue Géraldine en faisant un clin d’œil à Sophie.


20 ans plus tôt.

— Où t’as mis les bougies ? demande Géraldine.

— Euh …

— Ne me dis pas que t’as oublié les bougies !

— Avec le déménagement et tout ce qu’il y avait à faire, si, j’ai zappé …, s’excuse à moitié Pascal, en mode défensif.

— Bon, ben vas demander aux voisins vite fait pendant que je finis le gâteau !

— Mais on vient d’arriver hier et je ne vais pas aller les embêter un dimanche midi …

— Tu n’as pas le choix, à moins que tu ne veuilles dire à ta fille qu’il n’y aura pas de bougies à souffler alors que tu lui avais promis, insiste Géraldine. Et puis ce sera l’occasion de faire connaissance !

Réticent, Pascal se dirige vers la porte et enfile des chaussures sans fermer les lacets.

Sur le chemin, il hésite à faire demi-tour.

— Je pourrais dire qu’il n’y avait personne …

Il repense à sa promesse qu’il y aurait un gâteau et des bougies à souffler malgré le chaos du déménagement.

Et il aperçoit la voiture des voisins dans la cour. Il lève les yeux au ciel regardant son idée s’envoler au loin.

Il s’approche de la porte, le cœur battant.

Pascal se demande pourquoi à son âge, il a encore autant de mal comme ça à toquer chez quelqu’un.

Et il toque.


— Ah non, j’ai fait le café, c’est toi qui vas ouvrir ! répond Sophie.

— Mais qui peut bien toquer un dimanche midi, grommelle Claude, nan mais franchement ! On pourrait faire sembler de ne pas être là ?

— Avec la voiture bien en évidence dans la cour ? sourit Sophie. Allez vas-y, je suis sûre que ce n’est pas le grand méchant loup ! lui dit-elle comme si elle parlait à un enfant.

Claude se lève, déployant ses 2 mètres de gabarit en poussant un soupir exagéré et va ouvrir la porte.

— Bonjour, je suis vraiment désolé de vous déranger un dimanche … On est … enfin je suis le nouveau voisin, enfin moi et ma famille …

Claude regarde Pascal sans rien dire, puis regarde ses lacets défaits, attendant la suite.

— Oui alors, enfin, bredouille Pascal en regardant lui aussi ses lacets, je viens parce qu’on aurait besoin de bougies, c’est l’anniversaire de ma fille et on a oublié, enfin j’ai oublié d’en acheter … avec le déménagement hier …

Un moment passe.

Claude aime bien créer ces moments de silence et voir si l’autre est à l’aise.

— Ok, bougez-pas, les situations d’urgence comme ça, c’est la patronne qui s’en charge ! finit-il par répondre d’un ton ferme, cachant un demi-sourire dans sa barbe.

Pascal n’arrive pas à savoir s’il y a de l’humour dans cette réponse ou bien si son voisin est vraiment un homme des cavernes dans l’âme.

Quand Claude revient à la cuisine, Sophie est déjà affairée à sortir tout un tas de choses d’un tiroir.

— C’est le nouveau voisin qui aurait besoin de bougies pour …

— Oui j’ai entendu, j’ai ce qu’il faut, j’ai juste besoin de 2 minutes, répond Sophie concentrée.

— Oui enfin, on ne va pas retourner toute la cuisine non plus, soit tu les as à portée de main, soit on fait l’impasse, il va s’en remettre.

— Tu sais parfois, tu caches trop bien ton grand cœur derrière ton côté ours, moi je le vois toujours, mais les autres peuvent avoir plus de mal …

— Bon alors tu trouves ? demande Claude, en faisant semblant de ne pas avoir entendu.

— Les voilà !

Claude retourne à la porte d’entrée, les petites bougies dans sa grosse main.

— Incroyable, vous me sauvez la vie ! dit Pascal étonné et ravi.

— Et tâchez de les souffler rapidement pour ne pas trop les user, lui dit Claude d’un ton taquin.

Pascal sourit à moitié en repartant, ne sachant pas s’il est sérieux.


— Mais qu’est-ce que tu fais ? demande Pascal.

— Je leur prépare un petit cadeau de remerciement avec les bougies, répond Géraldine.

— Tu sais, je l’aurais fini ce soir le gâteau, hein, si t’avais peur qu’il y ait des restes, plaisante Pascal. Et puis, ils ont peut-être des allergies, on devrait juste leur rendre les bougies.

— Arrête avec tes histoires …

Géraldine referme la petite boîte hermétique et la tend à Pascal.

Il regarde par la fenêtre et découvre avec soulagement que la voiture des voisins n’est pas là.

— Ouf, au moins, je n’aurais pas à croiser Cro-Magnon encore une fois.

— C’est le voisin, tu le recroiseras forcément, souligne Géraldine.

— Si un jour, je ne rentre pas à la maison, tu sauras qui m’aura mangé tout cru.

Pascal se dépêche de déposer la boîte sur le pas de la porte de ses voisins et déguerpit sur la pointe des pieds.


— Oh regarde, c’est gentil, ils nous ont déjà ramené les bougies et deux parts de gâteau ! s’exclame Géraldine sur le point d’ouvrir la porte. J’en connais un qui va être content, lance-t-elle en direction de Claude qui la rejoint.

— Finalement, ils ne sont pas si mal ! continue Claude. Fraises et chocolat noir, une valeur sûre, dit-il avec une voix plus douce en voyant le gâteau.

Quelques minutes plus tard, Claude ferme les yeux en savourant sa part.

Il finit même par lécher l’assiette sous le regard amusé de Sophie.

— Tu sais quoi ? je les aime de plus en plus ces voisins, si on les invitait pour le barbecue demain ?

Sophie lui sourit amoureusement.

— Voilà ! Quand tu veux, tu sais montrer ton grand cœur.


— Et ça fait 20 ans que ça dure ! conclut Claude.

— On a vécu des hauts et des bas, les uns et les autres, dit Pascal en laissant un silence, mais on a trouvé, je crois des amis d’âmes.

— Ouh là là, ça y est, il repart dans ses hautes sphères, rigole Claude. Mais c’est vrai que je n’aurais jamais cru un jour que j’achèterai un bien en commun et pourtant 20 ans plus tard, on partage ce magnifique endroit !

Sandra, la nouvelle voisine sourit en regardant autour d’elle.

— C’est vrai que c’est magnifique ! Est-ce qu’il reste du gâteau ? demande-t-elle poliment.

Pascal enlève la dernière bougie du reste du gâteau au centre de la table et la tend à Claude.

— Tiens ! Un souvenir !

Les deux compères rigolent de bon cœur, sous le regard complice de leurs moitiés.

Partagez cet article à vos amis :

Laisser un commentaire

4 réflexions au sujet de “Des bougies et 20 ans d’amitié”

  1. Bon matin et merci Jean-Philippe pour tout ………. je prends plaisir à vous lire …et ce matin cette histoire d’amitié me touche particulièrement un délice tel un gâteau …..délicieux à mon âme ! Portez vous bien et vivez un fabuleux long week-end !
    Johanne

    Répondre