18 jours pour survivre

Au début, c’était subtil, presque imperceptible.

Les gens se sentaient plus légers, d’abord une simple impression, puis des sensations physiques claires.

Cela arrivait dans certaines zones seulement, peu étendues et qui semblaient se déplacer.

Les personnes qui avaient ces sensations étaient prises pour folles, puis le nombre de témoignages a augmenté.

Un point de bascule c’est quand un artiste de rue a démarré un numéro de magie particulier : celui de la lévitation.

Très vite, il a fait la une, il passait dans les médias, tout le monde cherchait le “truc” car il répétait inlassablement son numéro de lévitation partout dans toutes les conditions, avec toutes les contraintes possibles !

Même des scientifiques avaient été invités pour élucider le mystère, en vain.

Quelques mois plus tard, un autre homme, expert-comptable, s’est filmé en train de marcher au-dessus d’un lac pendant les vacances.

Le “Nouveau Jésus” faisait désormais la une des journaux.

On a cru à un “fake”, un énième montage vidéo aidé par l’intelligence artificielle.

Mais une dizaine de témoins avaient enregistré la scène avec leur téléphone, selon divers angles.

D’après les experts, ça ne pouvait pas être un “fake” avec autant de prises de vue différentes.

Les événements de ce type se sont multipliés, et ont été diffusés notamment sur les réseaux sociaux avant de susciter de sérieuses questions sur le phénomène.

— Et ça ne peut pas être la gravité de la Terre qui change ? demande naïvement un journaliste de plateau télé.

— Non, ça ne touche que les êtres humains, ni les objets, ni les animaux ou les plantes, c’est incompréhensible ! répond un chroniqueur.

Bientôt, toute une frange de la population s’est mise à pouvoir léviter ainsi.

Ils étaient appelés les “lévitants”.

Ils se montraient parfois arrogants avec ceux qui ne pouvaient pas léviter, ce qui a commencé à susciter une vive réaction de ceux qu’on a appelé les “anti-lév”.

Jalousie ? Principe de précaution ?

— Ils se réjouissent d’un phénomène qui les dépasse, sans en comprendre les conséquences, répond une jeune femme lors d’un micro-trottoir.

Les scientifiques étaient sceptiques, ils ne comprenaient rien au phénomène à part une chose …

— C’est l’évolution du phénomène qui vous inquiète ? demande le journaliste.

— Oui, c’est très préoccupant, répond calmement la scientifique, j’ai retracé l’apparition du phénomène en ajoutant une échelle d’intensité pour tenter de mesurer à quelle vitesse il évolue. Si on reste sur une évolution linéaire, dans 6 mois, les “lévitants” risquent de perdre pied littéralement !

— Vous voulez dire qu’ils vont s’envoler sans pouvoir revenir ? rigole le journaliste.

— Exactement, répond sérieusement la scientifique.

Il n’aura pas fallu 6 mois.

Un septuagénaire n’était plus capable de redescendre sur Terre.

— Vous voyez, on vous avait dit, tous les lévitants vont y passer ! s’exclame un anti-lév peu compatissant au micro d’un journaliste.

Une équipe de pompiers avait été mobilisée pour attraper l’homme perdu en l’air et le ramener. Peu habituée à ce genre d’exercice, les sauveteurs ont mis plus de 14 heures pour y arriver, à l’aide de deux hélicoptères.

Le sauvetage avait été suivi partout dans le monde, ce fut un grand soulagement pour le monsieur et pour tous les lévitants.

Un soulagement de courte durée.

Les cas se sont multipliés.

Des personnes coincées au plafond de leur habitation, au bureau ou dans les magasins.

Situations faciles à résoudre pour la plupart mais le phénomène a pris de l’ampleur.

Puis, une jeune femme a affirmé voir son voisin s’envoler en pleine rue et disparaître dans le ciel. Elle ne l’a plus jamais revu.

Personne ne l’a prise au sérieux.

Plusieurs cas comme ça ont été rapportés.

Ce n’est que quand le premier ministre, en plein discours sur l’estrade dans un parc, s’est mis à s’envoler doucement, suscitant d’abord quelques rires, y compris de lui-même, que le vent a tourné.

Les rires se sont vite arrêtés quand son équipe n’a pas réussi à l’attraper avant qu’il ne monte de plus en plus pour disparaître comme par magie plus haut dans le ciel, comme aspiré dans un vortex invisible.

Les cas reconnus de personnes disparues se sont multipliés depuis ce jour-là.

La peur a atteint un autre niveau quand on a vu l’origine du phénomène.

Dans le ciel ont pris forme des sortes d’entonnoirs vers lesquels sont “aspirés” les personnes qui s’envolent.

— Il faut voir ça comme des bouches d’aspirateurs qui se déplacent, explique le scientifique, c’est comme si elles avaient été toujours là sans qu’on les voit. Il semblerait qu’il y ait une logique à leur déplacement mais nous ne la comprenons pas encore. En tout cas, plus elles aspirent de personnes et plus elles semblent prendre de la puissance.

— Il faudra encore combien d’aspirés dans ces “bouches” avant qu’on comprenne ?! s’énerve le journaliste.

Tout autour du globe, ces “bouches”, désormais visibles aux yeux de tous parcourent la surface de la Terre et aspirent de plus en plus de personnes.

Quand 1% de la population mondiale a disparu, cela a fait la une de la presse :

L’humanité perd pied !

Le monde aspiré, inéluctablement.

1% envolé !

Bien entendu, des opérations pour détruire ces bouches avaient été tentées, en vain. Les avions de chasse passaient au travers, comme à travers un hologramme. Les gouvernements et la communauté scientifique étaient impuissants.

5% d’envolés désormais et aucune explication, aucune piste.

Ce n’est que lorsque le nombre d’envolés a atteint 20% qu’une lueur d’espoir émergea au milieu d’un sentiment global de fatalité.

Une internaute de 17 ans avança une théorie sur un forum de discussion public :

— Les bouches semblent se déplacer à la fois aléatoirement et selon une logique. Vous avez remarqué qu’au début, c’était des personnes isolées qui étaient aspirées, puis deux ou trois personnes à la fois, puis de petits groupes, peut-être parce que ces bouches sont devenues plus puissantes depuis. Mais si le groupe est trop gros, il n’est pas aspiré.

De nombreuses tentatives pour comprendre comment échapper aux bouches avaient échoué, toujours filmées en direct pour que le reste de la population puisse apprendre : des sacrifices de quelques-uns pour la survie de tous.

Mais l’idée de cette internaute fit son chemin, et lorsque les 40% d’envolés furent atteints, les scientifiques ont calculé qu’à ce rythme, l’humanité aura disparu 18 jours plus tard.

Dans un nouvel élan, des rassemblements ont commencé à avoir lieu partout dans le monde.

Les gens se réunissaient d’abord dans des parcs, se tenaient par la main, s’allongeaient parterre pour dormir tout en maintenant le contact physique.

Les discussions sur le forum s’envenimaient, partageaient des vidéos où les bouches passaient littéralement au-dessus de rassemblements importants sans aspirer quiconque à part quelques individus isolés !

Jusqu’à un fameux commentaire d’une certaine Lucie :

Restez en contact physique, créez des liens, unissez-vous !

Le commentaire a fait le tour du monde en un clin d’œil comme par magie.

Des chaînes humaines gigantesques se sont formées sur tous les continents, au-delà des frontières, au-delà des langues, dans une émotion intense, celle d’une tentative ultime de survie de l’espère humaine.

Les bouches dans le ciel semblaient chercher frénétiquement des personnes à aspirer, en vain.

Elles semblaient haleter de plus en plus.

Quelque chose était en train de se passer.

C’est de la Nouvelle-Zélande que la nouvelle arriva.

Isolée au milieu de l’océan, les kiwis (le nom donné aux habitants) avait formé une chaîne humaine avec 96% de la population restante, arrivant même à former miraculeusement un pont humain avec leurs bateaux dans le détroit de Cook pour relier l’île Nord et l’île Sud.

Les bouches situées au-dessus du pays, ne pouvant plus rejoindre l’Australie à temps, ont commencé à étouffer dans une agonie perceptible avant de disparaître complètement et pour de bon dans le ciel.

C’était une première !

Au fur et à mesure que le jour se leva tout autour de la Terre ensuite, les chaînes humaines grandirent et les bouches commencèrent à disparaître les unes après les autres, n’ayant plus la possibilité de survivre.

Une vague de soulagement parcourut la Terre.

Les larmes aux yeux, les gens se prirent dans les bras.

Enfin, depuis très longtemps, l’humanité put regarder à nouveau le ciel avec le sourire.

Partagez cet article à vos amis :