Ça me fait tout bizarre de retourner dans cette maison.
Je me force à respirer normalement comme s’il fallait que je garde mon calme.
Mais je sens bien que ça « remue » à l’intérieur …
Je souffle un grand coup.
J’explore les pièces une par une comme pour un pèlerinage, puis je monte à l’étage.
Je passe devant la porte d’un grenier.
Une fois, deux fois, trois fois.
Je me décide à l’ouvrir et monte doucement les marches.
J’ouvre la porte et je vois des affaires, des caisses, des cartons avec des étiquettes : école, grand-père, vêtements, …
Je m’approche d’un carton marqué « cuisine ».
Je l’ouvre délicatement, à la fois curieux et prudent.
Dedans, un vieux cahier de recettes, des assiettes, quelques couverts et un moule …
Je pousse le reste et je prend le moule à deux mains comme pour m’y connecter.
Ce moule …
Un moule à gâteau.
Pas n’importe quel gâteau …
C’était le moule que Maman utilisait pour faire mon gâteau d’anniversaire.
Chaque année, le même.
Comme un rituel.
Des souvenirs reviennent.
Je m’asseyais sur le radiateur devant la fenêtre …
« Descends du radiateur ! » me disait-elle avant même que j’ai pu m’installer.
Elle avait son caractère.
Je m’installais alors sur le petit tabouret en bout de table et je la regardais faire en silence.
Le vieux poste de radio était allumé, grésillant, le signal brouillé à chaque fois que Maman passait devant.
Je la regardais, admiratif du talent de pouvoir créer pareil délice.
Préparer les fraises.
Préparer le chocolat.
Bien sûr, je filais un coup de main.
Je m’occupais de nettoyer le chocolat du plat quand elle avait fini ! 😛
Chacun son boulot !
J’ai toujours le moule en main, perdu dans mes pensées.
J’aperçois dans le carton le plat dans lequel elle servait le gâteau.
C’était le plat pour les grandes occasions comme les anniversaires.
D’autres souvenirs me viennent.
Des bougies allumées.
Des grandes pailles qui font des loopings dans les verres.
Du monde réuni dans la salle à manger.
Des amis, des voisins, …
Le plaisir de souffler les bougies et d’enfin goûter au gâteau.
Je sers fort le plat dans ma main.
Des larmes montent, une crispation survient à l’estomac.
Qu’est-ce qu’il se passe ?
Je ferme les yeux, comme pour mieux supporter.
« Je suis désolé … » dis-je à haute voix sans comprendre.
Une autre partie de moi se demande : désolé de quoi ?
Les lèvres se pincent.
« Je ne sais pas … »
Je prends une respiration …
« Désolé … de ne pas avoir dit « au revoir » … »
Des larmes coulent le long de mes joues.
D’autres images viennent.
J’ai aperçu Maman un quart de seconde, parterre, sans comprendre.
Le sentiment d’urgence à la maison, le chien affolé qui court dans tous les sens.
Je l’attrape et je l’enferme avec moi dans le salon.
Il continue d’aboyer, je n’entends pas ce qu’il se passe dehors.
Les ambulanciers sont là.
J’entends la voix d’un proche.
Je ne sais pas ce qu’il se passe.
Le calme revient doucement.
La porte s’ouvre.
Ma cousine me dit qu’ils ont emmené Maman à l’hôpital.
Qu’on va attendre.
La veille, je lui demandais si elle allait faire le gâteau au chocolat pour mon anniversaire, sur le point de m’asseoir sur le radiateur …
Elle m’avait répondu : « oui, bien sûr comme chaque année … descends du radiateur ! ».
Cette fois, il n’y aura pas de gâteau.
Il n’y aura plus de ce gâteau.
Les larmes continuent de couler.
« Je suis désolé … » s’échappe de ma bouche une nouvelle fois.
« Je suis désolé de ne pas avoir dit au revoir ».
Quelque chose lâche en moi.
L’énergie circule à nouveau, doucement, en moi.
Comme si on enlevait un tronc qui bloquait le courant d’une rivière.
Tout redevient plus fluide.
La respiration redevient ample.
Les larmes cessent.
Les crispations se dissolvent.
Je rouvre les yeux, le plat toujours en main.
Je le regarde avec amour.
Je me pince les lèvres comme si quelque chose en moi ne voulait pas sortir.
Et dans un murmure :
« Merci Maman ! ».
Je sers le plat contre moi.
Puis je le repose.
Je me dirige vers les escaliers.
Je m’arrête, je me retourne :
« Au revoir Maman ».
Je passe la porte du grenier et je souris.
Éclaireur
(pour en savoir plus sur mon cheminement, lire qui suis-je ?)
Très touchant l’histoire du gâteau de votre mère et le fait d’être désolé de ne pas lui avoir dit au revoir. J’en ai eu les larmes aux yeux !
Vos histoires me touchent beaucoup même si je ne commente pas ou peu.
Merci pour vos partages, la source d’inspiration que vous êtes !❤️🙏✨
Bonjour J.P.,
Bouleversante et boulversée.
Je n’ai pas pu ou pas voulu dire au revoir à ma mère en clinique et je me retrouve a faire des plats qu’elle faisait si bien pour ces amis..a sourire à un ou deux petits évènements qui nous ont « rapprochée ». A lui dire pardon nous ne nous sommes pas « rencontrée » mon papa mort en 40 la laissait toute seule avec une demoiselle qui pleurait son papa a un an. Voilà le grand frisson qui m’a balayée en lisant le « gâteau » aide le soleil a balayer les nuages. J’ennuie beaucoup l’Univers pour le moment mais j’avance.
Belle journée.