Miroir, mon beau miroir

Le monde est un miroir

« Mais ils font n’importe quoooooi ! », s’exclame Patrick en insistant bien sur la dernière syllabe.

La discussion bat son plat autour du dîner entre amis.

« Ils font de leur mieux », répond Julien, « tu peux pas t’attendre à ce que tout le monde soit parfait … comme toi … », finit-il avec un sourire en coin.

« Crois-moi, si la moitié du monde vivait comme moi, il tournerait bien mieux ! » annonce Patrick en finissant son verre.


Le lendemain matin, c’est avec une certaine gueule de bois que Patrick ouvre les yeux.

Bien content de sa soirée, il se sert un petit café avant de partir au travail.

Le ventre vide, il s’arrête prestement en double file pour prendre une viennoiserie à la boulangerie sur le chemin.

Quand il ressort, il découvre cinq voitures garées également en double file, qui bloquent clairement la circulation et qui l’empêchent de repartir.

« Punaise, mais ils se garent tous comme des gorilles ce matin, c’est pas possible ! », grommelle-t-il en commençant à manger.

Il arrive devant le bâtiment de son travail, finit sa collation sur le parking, fait une boulette de papier qu’il tente de lancer à distance dans une poubelle mais il la rate.

Il fait mine de ne pas avoir vu et s’engouffre dans les bureaux.

« Bonjour ! Bonjour ! Bonjour ! », dit-il en traversant l’open space sans regarder personne ou presque.

A peine arrivé à son bureau, son téléphone sonne :

« Allô ?! Ouiiii, comment ça va M. Breton ?! Vous avez bien reçu les documents ? », commence-t-il de sa voix forte, tout en restant debout.

Il continue sa conversation mais rapidement, il n’entend plus rien.

Il prête attention autour de lui et voit plusieurs de ses collègues, debout, parler à voix haute au téléphone en gesticulant.

« Mais ce n’est pas possible, on ne s’entend plus penser ici ! », grogne-t-il en finissant sa conversation.

La tête comme une pastèque, il sort du bureau pour rejoindre sa voiture.

En chemin, il remarque plein de détritus juste à côté de la poubelle du parking.

« Nan mais ça leur foulerait le petit doigt de faire en sorte de mettre leur déchet à la poubelle correctement ? », peste-t-il encore en montant dans sa voiture.

« Quelle journée de m*rd* ?! », dit-il en allumant la radio.

« … le prochain auditeur, Gisèle, bonjour Gisèle, vous nous disiez que ce début de journée n’était pas au top ? » « Oui, bonjour, oui c’est un bon début de journée de m*rd*, vous savez … » « Vous savez quoi Gisèle, je vais vous donner raison ce matin, pour moi aussi, … ».

« Et ben radio positive, ce n’est plus ce que c’était ! », dit Patrick en éteignant le poste.

Son téléphone sonne. Il décroche au volant.

« Allô Julien ? … oui pfiou, t’imagines pas ce début de journée … », commence-t-il.

C’est là qu’il aperçoit une voiture se diriger droit vers lui en sens inverse.

D’un coup de volant de part et d’autre, les voitures s’évitent de justesse et comme au ralenti, les deux conducteurs se regardent droit dans les yeux au moment de se croiser, découvrant l’autre tenir son téléphone dans la main.

Le cœur battant, le souffle court, Patrick est bien conscient du danger qu’il vient d’éviter mais il ne peut éviter un commentaire désobligeant à l’égard de l’autre conducteur.

« Euh, j’arrive à ton bureau, à tout de suite, Julien ! ».


Patrick entre dans le hall de l’immeuble où travaille Julien, le téléphone à la main, en train de regarder sa messagerie, lorsqu’il heurte violemment quelqu’un en face qui faisait de même.

Cette fois, c’en est trop.

Il explose de colère sans même regarder la personne en face qui fait de même.

Insultes, attaques verbales, c’est un déchaînement de paroles dans les deux sens, les gestes appuyant les invectives.

L’activité du hall de l’immeuble tout entier s’est arrêtée pour suivre le duel.

Au moment où Julien fait son apparition calmement à quelques pas, Patrick a un moment de flottement, le temps semble s’écouler au ralenti, les sons sont étouffés.

Derrière Julien, le mur est un immense miroir et Patrick se voit gesticuler au ralenti face à son interlocuteur, le visage déformé par la colère.

La scène lui paraît absurde, comme une mauvaise pièce de théâtre, avec un public autour médusé et choqué par tant de violence.

« Mais qui est cette personne ? Qui suis-je ? », se demande Patrick intimement.

Puis brusquement, il revient à lui et s’arrête.

Son interlocuteur continue quelques secondes puis s’arrête également, surpris par le changement soudain.

Le hall entier plonge ainsi dans le silence.

Julien se tient toujours debout, calmement, un sourire bienveillant aux lèvres en regardant son ami.

Patrick prend une grande respiration et d’un ton calme s’adresse à son interlocuteur :

« Je vous prie de m’excuser, je ne sais pas ce qui m’a pris, je ne regardais pas où j’allais. »

« Il n’y a pas de mal, je pense que je ne regardais pas non plus, passez une belle journée, monsieur ! ».

Patrick ramasse ses affaires, toujours perplexe. Il échange un bref regard avec Julien qui lui met la main dans le dos pour le guider vers l’ascenseur.

Quand les portes de ce dernier s’ouvrent sur un miroir à l’intérieur, Patrick baisse les yeux et n’ose pas avancer.

Julien passe alors devant et et lui dit tout souriant :

« Allez viens, Patrick, c’est une belle journée qui s’annonce ! »

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