— Le mur commence à se fissurer, je vous dis, après la dernière secousse, j’ai pu …
— Mais comment pouvez-vous dire une chose pareille ?! il a tenu pendant des siècles, ce mur, il fait plus de 80 mètres de haut !
Le journaliste ne laisse pas l’expert terminer sa phrase, affichant une indignation théâtrale.
Sur l’écran défilent des images en gros plan de la partie visible du mur d’enceinte. La surface paraît intacte tandis que des ouvriers s’affairent à le repeindre en bleu ciel, pour le fondre dans l’horizon.
— Voyez, regardez ! s’exclame un second expert. Le mur est parfaitement sain. Nos ancêtres l’ont construit pour durer, pour nous protéger du monde extérieur. Il faut leur faire confiance !
— Parce que vous croyez encore qu’il y a du danger au-delà du mur de la cité ? rétorque le premier expert d’un ton provocateur.
— Oh là, je vous arrête tout de suite ! Pas de théorie du complot sur ce plateau, je vous préviens, tranche le journaliste d’un ton professoral.
Agacé, je coupe le son de la télévision.
Je sors sur la minuscule terrasse de mon appartement, au septième étage. Entre les immeubles, j’aperçois le mur. Sa peinture bleue, défraîchie par endroits, a viré au gris, se fondant dans la monotonie chromatique de la cité et du ciel maussade.
Sur la terrasse voisine, je remarque un objectif qui dépasse d’une fenêtre, suivi d’une tête qui émerge comme pour mieux voir sans l’appareil, paradoxalement.
L’homme se tourne vers moi :
— Ils ont quand même fait du bon boulot, hein ? lance-t-il sur un ton complice. Les immeubles sont tellement serrés qu’on distingue à peine le mur. Et tous doivent être inférieurs à 70 mètres pour qu’on ne puisse pas voir au-delà. Sans compter l’interdiction des fenêtres donnant directement sur la muraille. S’ils avaient voulu nous empêcher de le voir, ils n’auraient pas fait mieux !
J’acquiesce vaguement, esquissant un sourire poli pour éviter tout débat stérile.
— Mais ils n’ont pas pensé aux reflets dans les baies vitrées ! poursuit-il. Vous avez entendu parler des fissures après les secousses ?
— Oui, mais apparemment tout semble intact.
— Ce n’est pas ce que mes photos révèlent, dit-il en braquant à nouveau son objectif vers le lointain.
— Des photos ?
— Oui, depuis des mois, je photographie quotidiennement certains points précis du mur. Et on peut dire qu’il n’y a pas photo ! glousse-t-il. Les fissures sont bien là !
Je fronce les sourcils.
— Je peux vous montrer, si vous voulez !
—
Face aux clichés, je dois me rendre à l’évidence : soit ces photos sont truquées, soit le mur est vraiment fissuré.
Une nouvelle secousse interrompt mes réflexions.
Nous restons immobiles, habitués désormais à ces tremblements.
Nous attendons que cela passe.
Il se précipite ensuite vers la fenêtre et mitraille de photos.
— Regardez, dit-il en me tendant son appareil. Cette photo, je l’ai prise juste avant notre conversation. Il fait une pause et appuie sur un bouton. Et celle-ci, je viens de la prendre.
J’ai beau chercher une manipulation, je ne trouve rien. Même angle, même large pot de fleurs sur une terrasse dans le coin du cadre, avec l’inscription « J’ai pas de pot ! ». Avant : mur intact. Après : une large fissure béante.
Je relève la tête, intrigué. Il me sourit.
— Vous me croyez maintenant ? Je vais publier ça tout de suite ! s’exclame-t-il avec enthousiasme en se dirigeant vers son ordinateur.
Le mur serait-il réellement en train de s’effondrer ? Sommes-nous en danger ?
— Le mur s’effondre ! Le mur s’effondre ! crie un vendeur de journaux, une liasse sous le bras.
Des photos de fissures s’étalent en première page.
Je déambule dans les rues, l’esprit embrumé, slalomant entre les passants.
Certains continuent leur vie comme si de rien n’était, préférant peut-être ignorer la situation. D’autres courent, sacs vides ou pleins à la main, selon l’avancement de leurs provisions.
Deux réalités semblent se superposer.
Mon esprit oscille entre les deux.
Devrais-je aussi faire des réserves d’eau et de nourriture ?
Le mur va-t-il vraiment s’effondrer ?
Mon regard croise celui d’une femme à quelques pas.
Elle avance lentement.
Ses yeux débordent de douceur et leur couleur contraste avec sa chevelure blanche et lisse, presque lumineuse.
Je m’approche naturellement d’elle, et nous échangeons un sourire complice, comme deux spectateurs d’une même comédie.
Le tourbillon de mes pensées s’apaise.
Elle me dit calmement, sans préambule :
— Il va s’effondrer très bientôt maintenant.
Mon estomac se noue légèrement.
— Et vous n’avez pas peur ?
— Peur de quoi ? demande-t-elle gentiment, que la Vie continue son chemin ? au moins, j’aurais assisté à ça de mon vivant.
Une nouvelle secousse, plus violente, ébranle la ville.
Elle dure plus longtemps que les précédentes.
La panique s’empare d’une partie de la foule, tandis que d’autres s’immobilisent, observant les immeubles qui commencent à vaciller au bout de la rue longeant le mur.
Les bâtiments s’effondrent finalement dans un nuage de poussière, dévoilant la muraille dans toute sa hauteur.
Je découvre pour la première fois le mur sous cet angle vertigineux.
Des blocs se détachent du sommet, roulant le long de la paroi alors que la secousse persiste.
L’inéluctable semble en marche.
La vieille dame me prend la main, les yeux toujours rivés sur le mur.
Une grande partie de la foule s’enfuit, hurlant à l’apocalypse.
D’autres restent plantés là, comme nous, témoins de l’impossible devenu réalité.
Le mur se fissure entièrement, et des siècles d’histoire de la cité s’écroulent sous nos yeux.
Je serre involontairement la main de la vieille dame qui me répond en caressant mes doigts de son pouce.
Le spectacle est aussi grandiose qu’effrayant.
Puis, presque instantanément, le calme revient.
Quelques gravats continuent de dégringoler ici et là.
La secousse a cessé.
Un vent disperse les nuages de poussière au-delà des ruines.
Le ciel s’éclaircit, laissant filtrer des rayons de soleil, comme pour souligner l’importance du moment.
La vieille dame s’avance. J’hésite, mais elle m’entraîne vers l’ouverture baignée de lumière.
Nous approchons.
Un pan s’est effondré presque horizontalement, créant une rampe naturelle par-dessus les décombres.
L’histoire s’écrit à chacun de nos pas.
J’avance avec précaution, aidant la vieille dame à atteindre l’ouverture.
Elle s’arrête à l’endroit exact où commençait le mur disparu.
Je lève les yeux et découvre au-delà une plaine verdoyante qui descend en pente douce vers une forêt luxuriante, sous un horizon dégagé. Sur la gauche, les crêtes des montagnes découpent le ciel.
Le spectacle est sublime, incomparable à tout ce que j’ai pu voir dans ma vie.
— Même dans mes rêves les plus fous, jamais je n’aurais imaginé quelque chose d’aussi beau, murmure la vieille femme, les yeux brillants d’émotion.
— Oui, et aucun danger de mort à l’horizon…
— Ce n’est pas la mort qui nous attendait avec cet effondrement, mais la Vie !
Pour les plus anciens d’entre vous, vous aurez reconnu l’idée d’histoire de cet article : Il faut que j’écrive un article !
Éclaireur
(pour en savoir plus sur mon cheminement, lire qui suis-je ?)
Merci Jean-Philippe pour cette magnifique histoire, je suis convaincue, malgré les moments de doute, que nous pourrons nous aussi retrouver la lumière lorsque ceux qui nous la cache encore seront au pied d’un mur qu’ils croient solide……..
Belle journée lumineuse
Merci, c’est ce que je ressens aussi, plein d’émotions mélangées et de l’espoir, et du ravissement 😍
j’ai ut les larmes aux yeux tout c,est bousculé en moi en lisant le mur……….tout a fait ce que je ressens et aspire depuis des semaines …des mois ….ma naissance! merci
Que les voiles continuent à tomber!
Que le caduque et le superflu laissent enfin place au nouveau, à l’essentiel, à l’utile!
Accueillons les changements, comme des bénédictions !!!
Et merci pour ce texte parabole !!!
Merci Jean Philippe pour ce beau message d’espoir 😊, ça aide à avancer …..
Merci. Restons dans le cœur et nous vaincrons.
Super texte ! N’ayons pas peur des fissures.
MERCI
Magnifique ! Un autre scénario que tous ceux proposés par le passage vers une autre dimension d’être. Merci
Jean Philippe et Neal, vous lire m’amène là ou la lecture EST je ne l’avais pas lit et je découvre que c’est ce que nous vivons présentement…n’ai pas peur avance avec amour dans la Lumière…tu ne peux résister a ce que la vie me réserve Alors avance et vie pleinement ton moment présent…j’en avais de besoin ce matin de ce beau texte qui me remet a la réalité de ce que nous vivons….Pas de peur, ni crainte, ni doute…Gratitude infini et reconnaissance infini et beaucoup de compassion que j’ai envers vous…Soyez béni et continué avec tous votre amour, je la ressens tellement…Pauline du Québec, Sherbrooke….EN EEKE MAI EA, KEE MAI, SHADA VA WAOLA
Merci pour cette histoire, à réfléchir, j’aime la fin.
Nicky
Insérer « Il faut que j’écrive un article » à la fin du « Mur de la vérité » nous laisse imaginer que les « Eclairages du vendredi » de Jean-Philippe doivent tenir du « Génie » ou du « jusqu’au boutisme » pour ainsi parvenir à élever nos consciences.
Pour ma part, « Le Mur de la vérité » me renvoie à l’un des plus beaux livres que j’ai lu, celui du « Mur invisible » de Marlen Haushofer, (autre temps, autre époque !)
Mais avec « Le Mur de la vérité », la chute du mur et de l’histoire sont à ce point si remplis d’Espérance qu’il nous émeut presque tout autant que « Le Mur invisible ».
Un immense MERCI Jean-Philippe pour ta persévérance.
Je vois bien le mur et ses fissures ….. dans l’actualité .
Merci Philippe pour ce message réconfortant.
Lionel
« Peur de quoi ? demande-t-elle gentiment, que la Vie continue son chemin ? au moins, j’aurais assisté à ça de mon vivant. »
Merci, c’est exactement ce dont j’avais besoin 🙏✨