LA pensée à l’origine des pénuries

— Il n’y aura pas assez de gaz pour chauffer tout le monde cet hiver ! commente un analyste sur un plateau télévision.

— C’est sans compter les restrictions d’eau, aujourd’hui les pénuries touchent de plus en plus de départements, répond le journaliste.

Gérard n’écoute que d’une oreille.

Il est en retard.

Il étend la télévision, prend ses sacs et se rend au supermarché.


Son petit papier en main, il déambule dans les rayons pour rayer un à un les éléments de la liste.

Des étagères sont vides.

Et lorsqu’il reste quelques produits seulement, les autres clients s’empressent d’en prendre plusieurs exemplaires, jetant un œil autour d’eux avec un air coupable.

Des affiches indiquent que certains produits ne sont plus disponibles pour une durée indéterminée.

Au moment de payer, Gérard ouvre de grands yeux et tente de cacher sa surprise sur le montant affiché, sans succès.

La personne à la caisse le regarde avec compassion.

— Maman ne va pas être contente, murmure Gérard en retournant à sa voiture.


— Quoi ? c’est tout ce que tu as pour ce prix ? s’exclame la vieille femme.

Gérard ne dit rien, il a l’habitude.

Il continue de ranger les courses dans les placards de la cuisine de sa mère.

— Tu en as mis du temps, tu avais dit 16h et il est presque 18h, tu n’auras pas assez de temps pour réparer les toilettes, et c’est déjà la troisième fois ! Ton père, lui, aurait déjà réglé le problème une fois pour toutes !

— Mais si, Maman, je vais regarder ça tout de suite, et cette fois ça ira, répond Gérard en levant les yeux au ciel.


— A vendredi, Maman, dit Gérard en fermant la porte derrière lui sans attendre de réponse.

Il croise le voisin de palier.

— Bonjour M. Aurec.

— Bonjour Gérard, tu sais je m’inquiète pour ta mère, il faudrait peut-être que tu viennes plus souvent, que tu passes plus de temps avec elle, elle s’ennuie.

Gérard ne répond pas et se contente d’acquiescer.

Il salue de la tête et descend les escaliers deux marches à la fois.


— Toujours en train de courir ? le dîner est presque prêt.

Gérard pose son sac sur une chaise en poussant un long soupir pendant que son ami finit de couper des tomates.

— Désolé, je suis en retard, merci pour l’invitation en tout cas ! Les journées sont vraiment trop courtes, tonton Lucien ! finit-il par dire en s’asseyant lourdement.

— Pour d’autres, elles sont trop longues, ce n’est qu’une question de perception, regarde ta mère. Dans tous les cas, elles font toujours 24 heures, lui répond son ami, concentré sur la préparation du repas.

— Ok, maître Yoda, soupire Gérard sur un ton moqueur, pour une journée, tout le monde est à la même enseigne, je te l’accorde, pour le reste …

Un silence s’installe.

Lucien prend une tomate et découpe délicatement un simple quartier bien juteux.

Il le tend à Gérard lui faisant signe de le goûter.

Ce dernier s’empresse de le manger, souriant de satisfaction, comme un gamin à qui on offre une friandise.

— Tes tomates du jardin, c’est toujours un régal ! s’exclame-t-il.

Lucien reste silencieux.

Il place le reste de la tomate découpée dans une assiette qu’il pose devant Gérard.

— Tu ne me donnes pas une tomate entière ? demande Gérard en montrant les tomates restantes.

Lucien s’assied en face de lui.

— Regarde, lui dit-il, tu était très satisfait avec un simple quartier de tomate et maintenant tu râles parce qu’il manque un quartier à une tomate entière. Encore une question de perception.

Gérard reste muet, un peu vexé de s’être fait piégé.

— Tu peux regarder ce que tu as, ou regarder ce que tu n’as pas, continue Lucien. Cela dépend de ta manière de penser. Si tu penses qu’il n’y a pas assez, tu verras toujours le quartier manquant de la tomate, tu courras toujours après le temps, et tu n’auras jamais assez de 24 heures pour faire ce que tu as à faire.

— Ok, ok, ça va, j’ai compris, faire attention à ses pensées tout ça, parce que ça « crée » notre réalité, dit Gérard d’un ton moqueur en faisant le geste des guillemets avec ses doigts. Tu me l’as répété quinze fois. N’empêche que j’ai beau me répéter « qu’il y a assez », je vois bien qu’il manque des choses dans les magasins, qu’il va certainement manquer de gaz ou d’électricité cet hiver. Donc je vois pas en quoi changer cette pensée va changer les choses !

Lucien reprend la tomate de l’assiette de Gérard et finit de la couper.

— Tu as raison, cela ne va pas changer les choses … parce que ce n’est pas cette pensée qu’il faut changer …

Gérard fronce les sourcils.

— La pensée en cause ne concerne pas l’extérieur mais l’intérieur.

— Hein ? s’exclame Gérard.

— « Je ne suis pas assez fort, je ne suis pas assez intelligent, je ne suis pas assez beau, je ne suis pas assez bosseur, je ne suis pas assez gentil, je ne suis pas assez » … énumère mélodieusement Lucien en dodelinant de la tête. C’est la perception de l’intérieur qu’il faut changer, c’est cette histoire à propos de soi-même qu’on se répète inlassablement qu’il faut faire évoluer.

— Tu veux dire que, parce que, moi Gérard, je pense que « je ne suis pas assez », le monde a des pénuries en tout genre ?

— Si individuellement, chacun entretient une pensée de « pas assez » le concernant, cela va se manifester collectivement à l’extérieur dans notre réalité perçue, oui car nous co-créons tous ensemble cette réalité qui est le résultat, la synthèse de toutes nos pensées. Dans l’absolu, il suffirait de pas grand chose pour que les choses changent …

— Il suffirait d’arrêter de croire qu’il n’y a pas assez, je veux dire de croire que JE ne suis pas assez, complète Gérard.

— Simple et compliqué à la fois, rigole Lucien ! Notre société est construite sur l’idée du « pas assez », parfois de manière subtile sous la forme d’un « il faut plussss de ceci ou cela », car cela sous-entend …

— qu’il n’y en a pas assez …

— Oui, et même dès l’école … il n’y a quasiment jamais de note parfaite comme 20/20. Alors qu’est-ce que cela crée chez les élèves ?

— Le sentiment de ne pas faire assez, de ne pas ETRE assez …, dit Gérard songeur.

— Si chacun pouvait se dire une fois de temps en temps qu’il est « assez », juste de s’aimer comme il est, avec ses défauts, ses manques, ses limites …

Un silence s’installe.

Les deux amis se regardent dans les yeux et sourient.

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7 réflexions au sujet de “LA pensée à l’origine des pénuries”

  1. Bonjour Jean Philippe,
    J’adore vous lire, j’aime beaucoup les prises de conscience que ça me fait prendre ou que ça me rappel!!
    Bon et beau travail merci infiniment 🤩🤗🙏

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  2. Bonjour Jean-Philippe. Un grand merci pour tes traductions des textes de Conversations avec Dieu… qui tombent très souvent pile au bon moment sur un de mes questionnements du moment … et si ce n’est pas le cas, je me dis :  » si ce texte est arrivé aujourd’hui dans ma boîte mail, c qu’il y a une raison. A moi de la trouver 🙂 »
    Pareil pour les textes que tu écris. J’ai toujours beaucoup de plaisir à les lire et tu apportes du grain à moudre au moulin de ma réflexion, de par les sujets que tu évoques et la manière que tu les abordes. Parfois je repense à un de tes textes bien longtemps après l’avoir lu et je pose mon regard sur une situation que je vis ou une manière de pensée sous un autre angle, comme tu le fais et cela m’aide beaucoup et remet les choses en perspective 🙏🙏🙏

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  3. Merci Jean-Philippe, C’est très beau et très juste. Vos publications sont un peu comme des journées à thème (d’intériorisation) 🙂 Merci merci <3

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  4. Merci Jean-Philippe. Regardons ce qui est là, ce qui fait déjà partie de notre vie, mais que nous ne regardons pas en conscience. Nous sommes déjà bénis, mais nous sommes souvent ailleurs en pensée, à ressasser des problèmes. La paix est toujours là, et nous pouvons y retourner à chaque instant.

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