Résoudre un problème … ou le maintenir ?

Résoudre un problème ... ou le maintenir ?

– Les résultats sont sans appel !

Un graphique est affiché à l’écran, une courbe qui monte jusqu’à 100%.

– Les bulles bleues sont complètement transformées et réintégrées à la terre comme nutriments.

Patrick n’est pas peu fier, il sent une joie intense monter en lui.

Ça y est ! Il y est arrivé, après des années de travail pour ne pas dire de compromis et de sacrifices, lui et son équipe ont réussi à mettre au point BubbleCrusher, un produit pour détruire des bulles bleues qui sont apparues il y a quelques années dans certaines régions.

Elles tapissent les jardins, les prés, les champs, et collent à l’herbe, aux plantes, c’est presque impossible à nettoyer à la main.

Les conséquences sur la santé sont encore très peu identifiées même si de nombreux animaux ont été retrouvés mort à proximité. Leurs causes exactes ne sont pas encore prouvées, bien que tout le monde se doute que cela vient des usines récentes dans le cadre du grand plan politique de la “Nouvelle Ecologie”.

Au début, ces bulles bleues n’intéressaient pas Patrick, la vie d’étudiant l’occupait autrement.

Ce n’est que quand il a vu de ses propres yeux les prés de son enfance recouverts de ces bulles bleues qu’il a senti l’appel.

Un appel qui s’est transformé en mission.

Il a d’abord tout lu sur le sujet, une véritable obsession de recherche et de compréhension, et il a rapidement compris qu’il ne pourrait pas agir sur les causes, se heurtant aux défenseurs idéologiques de la “Nouvelle Ecologie”.

Tant pis ! Il agirait sur les conséquences et ces fichues bulles bleues.

Et c’est en étant sur le terrain qu’il comprit, après avoir vu des centaines d’endroits durement touchés par les bulles bleues, et d’autres pas.

En effet, certaines parcelles étaient complètement vides de bulles bleues.

Comment était-ce possible ?

Il comprit par tâtonnement que c’est la combinaison d’une variété de pissenlit et d’une variété de mouches des champs qui en était la raison.

Ni une, ni deux, il fit quelques tests et expériences et se rendit compte que cela marchait.

Bien sûr, il y avait encore de nombreux défis devant lui.

Monter une entreprise, trouver des investisseurs, défendre son projet, …

Ce n’était pas sa tasse de thé, Patrick s’était donc associé avec quelqu’un de plus expérimenté, Guillaume, pour s’occuper de tout ça et pour que lui, puisse se concentrer sur le produit.

Guillaume était devenue comme une figure paternelle dont Patrick avait besoin.

Et les planètes s’étaient alignés pour son grand projet.

Non seulement, il avait réussi à mettre au point un produit qui détruit les bulles bleues à partir d’ingrédients naturels et peu coûteux, mais tout était respectueux de la Nature. La matière des bulles bleues était en fait transformée en un nutriment essentiel pour nourrir les sols qui en avaient bien besoin.

Jusque-là, les expérimentations n’avaient donné qu’une disparition à 79% et n’empêchaient pas complètement les bulles bleues de revenir. Patrick n’était pas complètement satisfait de cette version du produit, la V79, il savait qu’il pouvait aller plus loin.

Et aujourd’hui, après 17 mois de travail de plus, la disparition atteignait 100% et offrait une protection permanente contre les bulles bleues, une fois les nutriments assimilés. Patrick ne savait pas pourquoi exactement, mais il s’en fichait, cela signifiait la fin des bulles bleues de manière permanente avec une seule application !

La V100 était devenue une réalité !

Patrick était aux anges et regardait Guillaume, avide de reconnaissance.

L’associé de Patrick congédia le reste de l’équipe en les félicitant encore une fois du travail accompli et ferma la porte derrière eux.

Patrick essuya quelques larmes de joie en regardant encore l’écran.

– Tu peux être fier de toi, lui dit Guillaume, tu as relevé un sacré défi et tu l’as mené jusqu’au bout. En tout cas, moi je suis fier de toi !

– Merci, répondit timidement Patrick, accueillant pleinement cette reconnaissance bien méritée.

– Bien, maintenant, parlons business, commença Guillaume en ouvrant un dossier devant lui. Tu comprends bien que nous ne pouvons pas commercialisé cette dernière version du produit pour l’instant. J’ai d’ailleurs déjà déclenché la production de la V79 qui donne déjà de très bons résultats. Cela nous fournira un revenu confortable qui durera plusieurs années et nous pourrons sortir la V100 si la concurrence nous rattrape de trop.

Un goût amer emplit la bouche de Patrick.

– Attends … quoi ?! Pourquoi on ne produirait pas la V100 ?

– Patrick, tu es un gars intelligent, tu comprends bien que si on produit la V100 et que tout le monde l’utilise, c’est la disparition complète des bulles bleues en quelques semaines.

Patrick écarquille les yeux, la bouche ouverte en attendant la suite et finit par articuler :

– Et … ce n’est pas ce qu’on cherche à faire !?

– Patrick, la disparition complète des bulles bleues, cela signifie la clé sous la porte pour l’entreprise. Des prêts non remboursés, des actionnaires qui perdent tout leur investissement et plus de salaire ni pour toi, ni pour moi, ni pour l’équipe. Cela signifie que tu seras au chômage moins d’un mois après avoir lancé la V100 avec zéro argent de côté, parce que l’entreprise ne vaudra plus rien et ne te paiera aucun dividende, et tu resteras endetté jusqu’au cou ce qui t’empêchera de lancer d’autres projets, ensuite, c’est ce que tu veux après presque 10 ans de sacrifice ?

Patrick est sur les fesses, il n’en croit pas ses oreilles.

Il sent la colère monter en lui.

– Dans quel monde vit-on ? Un monde où résoudre les problèmes définitivement n’est pas récompensé, ni encouragé ?

– Patrick, le monde ne cherche pas à résoudre des problèmes, il cherche à maintenir le statu quo. Si tu trouves un médicament qui guérit une maladie définitivement, une fois que tout le monde est guéri, tu fais quoi ? Si tu luttes contre la famine et que tu arrives finalement à ce que tout le monde soit nourri sur Terre, tu fais quoi ensuite ? Si tu arrives par un grand miracle à arrêter tous les conflits dans le monde, tu te rends compte de toutes les personnes qui perdent leur salaire, voire leur raison d’être ? Organisations mondiales, industrie de l’armement, ONG, militaires, diplomates, médias, …

Guillaume marque une pause puis conclut :

– Résoudre véritablement les problèmes, c’est se tirer une balle dans le pied économiquement ! Alors, oui, parfois, on résout des problèmes, mais tu as remarqué, à chaque problème résolu, on en a créé 2 ou 3 nouveaux. C’est comme ça que marche le monde. Les bulles bleues ne sont qu’un des problèmes créés par l’industrie de la Nouvelle Ecologie qui en a résolu un autre, peut-être …

Patrick reste silencieux, il est en état de choc intellectuel, tiraillé entre accepter cette réalité et accomplir la mission qu’il s’était donnée 10 ans auparavant.

Si c’est la disparition définitive des bulles bleues, que va-t-il devenir ? que va-t-il faire ?

Quelle sera sa raison d’être ?

Qui sera-t-il ?


Est-ce que le monde cherche vraiment à résoudre les problèmes ?

Manifestement, il y a certainement des “avantages” à ne pas changer les choses.

Mais individuellement, ce ne serait pas un peu pareil ? 🙂

Cherchons-nous vraiment une solution pour un problème dans notre vie ou bien faisons-nous en sorte de maintenir un statu-quo pour conserver nos bénéfices ?

Si je n’ai plus “mon” problème à résoudre, est-ce que je recevrais toujours autant d’attention ? d’amour ? d’aide ?

Et qui est-ce que je vais devenir ?

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3 réflexions au sujet de “Résoudre un problème … ou le maintenir ?”

  1. Je pense qu il peut résoudre définitivement le problème des boules bleues. Pourquoi? Parce que, après il passera à un autre problème récurant, et puis encore un autre… il y a tant de choses à faire pr ce monde! Et si un jour , il n y avait plus de problème a résoudre, l argent disparaîtrait et l eden serai la, enfin!.. mais ceci est , semble t il complètement utopique? N est ce pas? Bravo pr ce qu il a fait. Exemple a suivre… merci et gratitude.

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  2. eh bien si il n’y a plus de bulles bleues, c’est tant mieux, on n’est pas là pour faire de l’argent, mais du bien, et quand cette société aura compris ça, on aura beaucoup avancé !!!! sauf que pour le moment, on est éduqué à faire de l’argent, à être le meilleur tout le temps, et ça, c’est ce qui est nocif , car on ne peut aller toujours plus haut, il arrive un moment où la montagne la plus haute, est ??? la plus haute, point, et quand on est au sommet, on ne va pas y rajouter des cailloux pour l’élever encore !!!! il va bien falloir redescendre ……donc soyons créatifs, oui, mais pour le vrai bien, de tous, et il y aura toujours de quoi créer , pour le plaisir, et non pour le rapport …………

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