Sortir des boîtes de pensées pré-fabriquées

Sortir des boîtes de pensées pré-fabriquées

— Madame Simon, je vais tâcher de vous ré-expliquer plus simplement.

Juliette commence à perdre patience, cela fait près d’une heure qu’elle essaie d’expliquer son projet à cette personne sensée l’aider.

— J’aimerais créer un café proposant des produits frais locaux et bio et où je puisse donner également des ateliers pour se reconnecter au moment présent à travers la nourriture et les cinq sens. J’aimerais également vendre des livres et accueillir d’autres intervenants dans le domaine du bien-être.

Mme Simon regarde attentivement Juliette derrière ses lunettes épaisses et fronce les sourcils pour bien montrer qu’elle l’écoute. Elle parcourt ensuite avec son stylo une sorte de catalogue papier devant elle.

Après un moment de silence, Mme Simon conclut :

— Je crois que j’ai trouvé, c’est “nutritionniste”. Mais je ne trouve pas c’est très cohérent, vous avez un diplôme de pharmacienne, pas de nutritionniste. Vous comptez vous former ?

Juliette soupire et ferme les yeux.

Elle ne pensait pas que ce serait aussi difficile.

Elle avait fait l’erreur de revenir à son travail de pharmacienne après son premier burn-out l’année dernière. Elle avait tenu quelques semaines avant qu’elle ne se casse la cheville sur le trottoir DEVANT la pharmacie !

Cela avait fait rigoler la personne qu’elle était allée voir pendant sa convalescence, Gisèle.

— Quand la vie en a décidé autrement, on ne peut rien contre elle ! avait-elle dit en souriant avec beaucoup de bienveillance. Vous n’aviez pas entendu le premier appel sous forme de burn-out vous invitant à arrêter. Du coup, un pied cassé au moins, ça a le mérite d’être clair ! C’est comme un gros message STOP de la part de votre âme !

Juliette était restée sceptique mais la suite de la discussion avait tellement résonné pour elle qu’elle n’avait plus aucun doute aujourd’hui.

Gisèle lui avait dit qu’elle avait ce don de créer un espace calme et apaisant rien que par sa présence, lui permettant ainsi d’aider les autres à revenir au moment présent, à revenir à qui ils sont vraiment.

Le cerveau de Juliette s’était mis à cogiter à ce moment-là, à faire des liens avec tout un tas d’expériences passées.

A la pharmacie, l’ambiance était toujours calme, et les clients trouvaient déjà de l’apaisement rien qu’en y passant quelques minutes. Ses collègues avaient remarqué le contraire pendant les absences de Juliette !

Elle adore aussi recevoir, elle organise d’ailleurs régulièrement des rencontres entre amis et amis d’amis, pour parler de la vie autour d’un mini buffet de fruits, de graines et d’autres aliments originaux.

Elle s’était même amusée une fois à préparer des légumes sous forme de fruits ou de graines et inversement pour tromper les sens et obliger les personnes à vraiment goûter les aliments au lieu de les identifier uniquement avec les yeux.

Ses amis avaient a-do-ré l’expérience et Juliette aussi !

Elle avait eu d’excellents retours, ses amis lui avaient dit que leur relation à la nourriture avait changé, qu’ils l’appréciaient différemment désormais, qu’ils se sentaient plus présents dans leur vie grâce à ça !

Juliette avait alors ensuite expérimenté avec des jus maison qu’elle appelait ses “potions”, comme une sorcière dans son laboratoire secret. Elle a plus d’une centaine de recettes à son actif et compte publier des livres.

Pendant cette séance, Juliette avait prit conscience qu’elle reconnaissait ce côté sorcière avec ses potions dans le travail de préparation de pharmacienne ! Elle avait besoin de voir le client avant de faire sa préparation, comme pour l’imprégner d’une intention particulière. Elle a-do-rait ça ! En tout cas, plus que de tapoter sur l’ordinateur pour suivre les stocks.

Tout avait pris un sens tellement évident à ce moment-là ! Son parcours, son expérience, ses envies, les retours des autres et de la Vie !

Elle avait prise conscience de son propre talent, elle avait pris conscience de qui elle était vraiment et de sa mission ici.

Un véritable éveil à elle-même !

Mais le retour à la réalité avait mis à mal cet enthousiasme et l’entretien avec Mme Simon était le reflet de ce qu’elle vivait depuis plusieurs mois.

Son projet ne rentrait dans une aucune case.

A chaque discussion, elle avait l’impression qu’on essayait de la forcer à rentrer dans une boîte : gérante de café, libraire, formatrice, auteure, et maintenant nutritionniste.

C’était à la fois aucune de ces boîtes et toutes ces boîtes à la fois.

Maintenant qu’elle avait compris ce qu’elle voulait vraiment faire, elle ne comprenait pas pourquoi c’était aussi dur de l’incarner dans le monde !

C’est comme si tout était fait pour l’empêcher de le faire : il faut un diplôme, il faut une licence, il faut choisir entre ceci et cela, les deux (voire plus) activités ne sont pas possibles ou compatibles, … et blablabla et blablabla …

Juliette le prenait presque personnellement, comme si le système l’empêchait d’exprimer qui elle est vraiment.

Elle était prête à laisser tomber ce projet, elle commençait à en avoir marre de se heurter à des murs.

— Ecoutez Mme Simon, non, ce n’est pas nutritionniste non plus, dit Juliette désespérée.

Mme Simon commençait elle aussi à perdre patience, elle ne comprenait pas que Juliette ne choisisse pas une catégorie, c’était pourtant simple !

— Je ne sais pas quoi vous dire – Mme Simon essaya de trouver une métaphore pour mieux expliquer – vous voulez avoir un pied dans cinq métiers en même temps, ce n’est pas possible, on n’a que deux pieds … et de toute façon, vous ne pouvez choisir qu’un seul métier ….

Mme Simon décida de laisser tomber la métaphore un peu bancale, puis conclut à bout de patience :

— Ce que vous voulez faire n’existe pas, vous n’allez quand même pas créer un nouveau métier rien que pour vous ? ce n’est pas possible ! Moi tout ce dont j’ai besoin c’est de saisir une catégorie pour l’ordinateur, le reste, je m’en fiche, vous faites ce que vous voulez !

Mme Simon s’était emportée malgré elle, Juliette l’avait bien senti, mais grâce à ça, Juliette avait soudainement compris comment elle pouvait fonctionner AVEC le système.

Tout ce qui importait pour Mme Simon c’était de pouvoir saisir le dossier de Juliette sur l’ordinateur et faire rentrer le “métier” de Juliette dans une case.

Rien n’empêchait Juliette ensuite de pousser un peu les bords de la case … et de faire ce qu’elle avait vraiment envie de faire.

Elle se remémora les paroles de Gisèle à la fin de sa séance :

Chaque personne est unique, chaque mission est unique, car il est le reflet d’une expérience de vie, de compétences apprises, consciemment ou inconsciemment, de talents innés et de l’énergie de la personne. A vous de créer dans le monde la forme que tout cela va prendre ! Soyez libre !

— Alors je mets quoi ? demanda Mme Simon plus calmement, prête à tapoter sur son clavier.

Juliette prit une profonde respiration et répondit, soulagée.

Remplie d’espoir, elle se mit à sourire.

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