Marion n’a même pas pris la peine d’enlever ces chaussures en arrivant à l’hôtel.
Elle y a déposé sa valise et est montée de suite dans un taxi pour l’emmener directement au musée Reina Sofía dans le centre de Madrid.
Voilà une heure qu’elle observe cette peinture célèbre de Pablo Picasso.
Un vieux monsieur plus loin est en train de dessiner face au célèbre tableau.
Elle entend un guide arriver avec un groupe :
Et voici la fameuse peinture de Picasso qui date de la guerre civile espagnole. Horrifié par le bombardement de la petite ville de Guernica le 26 avril 1937, Picasso était sur le point de réaliser la plus fameuse de ses œuvres : Guernica. Elle symbolise l’horreur de la guerre et la colère de l’artiste.
Marion acquiesce inconsciemment de la tête pour montrer son accord.
Elle ressent cette même colère en regardant la peinture, quelque chose profond, de vicéral.
Elle ne comprend pas exactement pourquoi elle reste aussi longtemps en présence de ces œuvres, surtout quand elle ressent des émotions pareilles en les regardant.
L’une des plus marquantes était Le Cri de Munch.
Elle avait passé deux semaines à Oslo, au Munch Museum, passant tout son temps à observer l’oeuvre qui suscitait chez elle une peur profonde.
Mais quelque chose en elle la forçait à regarder encore et encore, comme si elle avait quelque chose à comprendre.
Aussi bizarre que cela puisse paraître, elle se sentait vivante en faisant ainsi.
Et au bout d’un moment, l’intensité disparaissait et elle partait en quête d’une nouvelle oeuvre à contempler.
Aujourd’hui, elle était à Madrid, et elle ne savait pas pour combien de temps.
Elle avait cependant de plus en plus de mal à trouver une oeuvre qui assouvisse ce besoin si particulier.
Le temps qu’elle passait devant ces œuvres se réduisait, l’obligeant à voyager toujours plus vite en recherche d’une prochain stimulation, d’une prochaine dose d’elle ne savait quoi.
Et cela commençait à la stresser.
Le lendemain, déjà, son intérêt pour le tableau avait diminué.
Elle sentait un vide grandir et régulièrement pendant la journée, elle pianotait sur ton téléphone pour chercher déjà sa prochaine destination.
Le troisième jour, elle commençait déjà à se demander s’il avait bien fait de venir.
Le quatrième jour, elle ne regardait plus le tableau mais uniquement son téléphone.
Elle releva la tête quand le vieux monsieur du premier jour vint s’asseoir à côté d’elle.
— Comment se fait-il que l’on puisse passer autant de temps sur son téléphone en présence de l’une des plus marquantes peintures de l’histoire ?
— Cela fait 4 jours que je viens observer cette toile, je commence à en avoir fait le tour, je ne ressens plus rien, avoua-t-elle.
— Oui, je vous ai vue arriver il y a quelques jours, comme assoiffée après une traversée dans le désert, vous abreuvant de Guernica, comme une rescapée à une fontaine d’eau fraîche .. ou un smartphone avec 2% de batterie à une prise USB, dit le vieux monsieur en montrant le téléphone de Marion en souriant.
— C’est exactement cela, cela m’aide à me ressourcer, à me recharger … dit Marion.
— A vous recharger … ou à remplir un vide ? demande le vieux monsieur avec beaucoup de bienveillance, le regard sur la peinture.
Marion déglutit discrètement.
— Parfois, on cherche à remplir un espace avec des choses venant de l’extérieur alors qu’il est possible de remplir ce même espace en créant des choses depuis l’intérieur.
Marion déglutit à nouveau, silencieuse, le regard sur le célèbre tableau.
Le vieux monsieur se lève, la salue de la tête et s’en va.
Après un moment, Marion regarde dans la direction où le vieux monsieur est parti et découvre qu’il a laissé derrière lui une pochette avec un dessin qui dépasse.
Elle fait le tour de la pièce du regard pour vérifier s’il est encore là, lorsqu’elle rapproche la pochette et l’ouvre pour découvrir le dessin.
C’est un magnifique dessin d’elle en train de regarder le célèbre tableau de Picasso.
Elle porte la main à sa bouche émue, les larmes aux yeux.
Elle ressent une tristesse immense, elle se sent tomber dans le vide à l’intérieur d’elle-même et se met à pleurer longuement en regardant le dessin.
Marion est sortie prendre l’air dans le parc botanique royal, non loin de là, la pochette sous le bras.
Assise sur un banc, elle observe les passants et le reflet du soleil dans les feuilles aux couleurs changeantes des arbres se préparant à l’hiver.
Elle songe à cette courte conversation avec le vieux monsieur.
— … remplir cet espace depuis l’intérieur … répète-t-elle spontanément à haute voix.
Elle suit du regard un couple qui se tient par la main en marchant vers la sortie.
Marion pose la pochette sur ses genoux, sort une feuille vierge et un crayon et se met à les dessiner …
Éclaireur
(pour en savoir plus sur mon cheminement, lire qui suis-je ?)
J’adore vos textes.
Merci .
Merveilleuse journée.