La dernière bataille des peuples

La bataille avait fait rage pendant plusieurs jours mais le pire était à venir.

Les troupes profitaient de cette pause pour rassembler leurs ressources et reprendre des forces avant le grand jour.

Car tout le monde le sentait, des plus hauts gradés au simple soldat, ce jour serait décisif.


Le conflit entre les deux peuples remontait à la nuit des temps.

D’un côté les Cropas, un peuple fier, ancré dans l’histoire et les traditions.

De l’autre les Lipas, un peuple fier, ancré dans l’histoire et les traditions.

Leur histoire commune était ponctuée de batailles, d’affrontements et de périodes de deuil ou de reconstruction.

Des monuments étaient érigés pour marquer l’histoire et les esprits avec comme message récurrent : “N’oubliez pas ce qu’ils ont fait !”

Les contes pour enfants décrivaient toujours un vilain venant de l’autre peuple.

Très tôt, les enfants apprenaient à travers ces histoires, qu’il existait un ennemi historique qu’il fallait combattre.

Et malheur à ceux qui remettaient en question le récit.

Le vieux Eliando du grand Conseil des Sages, reconnaissable à son bandeau sur l’œil, en était encore la preuve vivante.

Sa légende commençait à la fin de la bataille des 4 nuits.

Tout le monde connaissait la bataille des 4 nuits, fameuse pour les pertes énormes survenues à cause des incursions dans les villages de part et d’autre. En être sorti vivant était un miracle en soi.

Le jeune Eliando, l’aîné de la fratrie, s’était caché avec ses frères et sœurs pendant les affrontements mais leur mère, voulant défendre ses enfants, ne survécut pas à l’assaut de l’ennemi dans leur village.

Quand son père fut rentré, Eliando s’approcha de son père et ils partagèrent le salut, front contre front, psalmodiant “Nous ne sommes qu’Un”, une tradition ancestrale pour montrer leur appartenance au même peuple.

Eliando lui annonça ensuite la nouvelle pour sa mère en restant proche de lui pour chercher du réconfort. Son père enleva son casque portant le symbole de leur peuple, et lui répondit qu’il ne fallait pas être triste car sa mère avait déjà été vengée ! Lui aussi avait tué dans le village adverse, avait-il dit avec une grande fierté.

Eliando commit ensuite une erreur dont il se rappellera toute sa vie.

Il demanda à son père s’il y avait des enfants qui avaient perdu leur mère aussi chez les ennemis.

Son père entra dans une rage folle, sortit son sabre et fit un grand geste pour mieux exprimer sa colère mais Eliando fut touché à l’œil.

— Ne remets plus jamais en question le combat que ton père, ton grand-père et tous tes ancêtres ont mené ! avait-il dit furieux.

Son père retourna au combat la nuit suivante et fut tué.

Eliando perdit un œil cette fois-là mais il comprit qu’il y avait certaines questions qu’il ne fallait pas poser.

Depuis, le bandeau sur le visage désormais ridé d’Eliando était un rappel constant de cette règle pour tout le monde.


A la veille de la bataille décisive, une nouvelle Pensée s’immisça dans les esprits des Cropas et des Lipas.

Les femmes notamment avaient peur plus que d’habitude de cette grande bataille qui s’annonçait, une bataille de laquelle ne sortirait aucun vainqueur.

En apparence, elles aidaient à la préparation des soldats, leurs maris, mais intérieurement de plus en plus elles redoutaient ces événements à venir.

C’était plus fort qu’elles.

Une impression, un ressenti différent les envahissaient.

Elles échangeaient des regards et sentaient mutuellement qu’aucune d’entre elles ne voulaient que cette bataille ait lieu, elles aspiraient à autre chose, à quelque chose dont elles n’avaient jamais vraiment fait l’expérience.

L’absence de peur.

La paix.

Alors elles se sont mises à prier, chacune de leur côté à l’extérieur mais toutes ensembles à l’intérieur.

Que les Cropas et des Lipas connaissent la paix.

Car intuitivement, elles savaient que la paix n’était possible que pour les deux peuples à la fois.

Et elles ont prié pour les deux camps.

Jusqu’au petit matin.


Dès l’aube, une lumière nouvelle envahit le futur champ de bataille.

Les troupes se rassemblaient de part et d’autre.

De mémoire d’hommes, personne n’avait vu un tel déploiement de forces.

Les troupes s’étendaient jusqu’à l’horizon.

Chaque peuple avait mobilisé toutes ses forces, de tous les villages.

Certains regards curieux s’élevaient vers le ciel.

Cette lumière nouvelle en troublait plus d’un.

Mais leur attention fut vite captée par les chefs respectifs qui commençaient à haranguer leurs troupes de chaque côté du champ de bataille.

Ils énumérèrent chacune des grandes batailles de l’histoire, rappelant à chacun la perte d’un proche, d’un ami, d’un ancêtre. La souffrance individuelle et collective nourrissait un sentiment grandissant de vengeance et de haine.

Les poings se serraient sur les armes.

Les mâchoires se crispaient.

Les jambes commençaient à taper le sol d’impatience.

Le temps s’arrêta un instant, dans un silence de plomb.

Et soudain, le silence laissa place à un rugissement massif et animal de part et d’autre du champ de bataille.

Les troupes coururent les unes vers les autres et les premiers coups furent échangés, les premières victimes tombèrent.

La violence était extrême, la concentration intense.

Personne ne remarqua quoi que ce soit au début.

Et pourtant, le phénomène pris de l’ampleur.

Des silhouettes lumineuses s’étaient élevées des corps restés au sol, baignées de cette lumière matinale si particulière.

Reconnaissables à leurs casques caractéristiques, ces silhouettes étaient des soldats tombés dans les deux camps.

Flottant dans les airs, elles regardaient la bataille d’un air triste et à la fois bienveillant.

A mesure que les combats continuaient, de plus en plus de silhouettes lumineuses s’élevèrent dans le ciel.

Leur nombre grandissant fit que cela ne pouvait plus échapper aux personnes au sol.

Les combats cessèrent petit à petit de stupéfaction face à l’incroyable phénomène.

Tous les regards s’étaient tournés vers ces milliers de silhouettes qui flottaient désormais à quelques dizaines de mètres dans le ciel au-dessus de la plaine.

Elles saluaient parfois ici et là d’autres soldats au sol qui reconnaissaient un ami, un proche, mort sur le champ de bataille.

Des soldats s’étaient mis à genoux pour prier, d’autres commencèrent à pleurer comme des enfants dans les bras d’un parent.

La lumière des silhouettes était visible depuis les villages voisins et leurs habitants se rapprochèrent pour mieux voir ce qu’il se passait.

Comme satisfaites d’avoir capté l’attention de chacun, les silhouettes lumineuses entamèrent une sorte de cérémonie particulière.

Chaque silhouette appartenant à un camp cherchait une silhouette appartenant à l’autre camp.

Les soldats au sol ne savaient plus quoi penser, surpris, choqués, perdus devant ce qu’il se passait.

Ils regardaient leurs chefs respectifs qui restaient figés eux aussi.

Une fois trouvées, les deux silhouettes se serraient la main et rapprochaient leur front respectif en fermant les yeux.

Un murmure parcourut la foule au sol, surprise de voir leur salut traditionnel se faire entre les deux “peuples” là-haut dans le ciel.

Qu’est-ce que cela signifiait ?

Sans bouger, toujours front contre front, chaque paire de silhouettes s’élevait un peu plus dans le ciel pour ne devenir qu’une petite sphère de lumière.

Au moment où les sphères étaient sur le point de disparaître très haut dans le ciel, elles explosaient et diffusaient une pluie de gouttelettes lumineuses qui retombaient sur les personnes au sol.

Les visages se mirent à s’illuminer petit à petit à mesure que cette pluie lumineuse s’intensifiait.

Très vite, chacun fut pris d’un élan.

Un élan du cœur, défiant leurs propres pensées.

Les soldats des deux camps posèrent leurs armes et s’approchèrent les uns des autres.

Des mains se serrèrent et les fronts se rapprochèrent.

Les habitants des villages alentours s’étaient rapprochés eux aussi, et regardaient les habitants du camp opposé.

Le vieux Eliando était parmi eux et c’est comme s’il avait son visage d’enfant, sur lequel coulaient des larmes libératrices.

Tous se saluèrent respectueusement tout en observant cette pluie lumineuse qui ruisselait sur leur visage.

Les femmes qui avaient prié toute la nuit reconnurent ce sentiment qui les avait envahies la veille.

Elles purent enfin poser des mots sur ce qu’elles ressentaient et qui s’était amplifié jusqu’à ce moment précis.

Des mots simples, ancrés dans leur culture, leur histoire, leur tradition, chez les Cropas et les Lipas, sans en comprendre leur portée universelle.

Des mots que tout un chacun avait répété sans comprendre vraiment leur sens jusqu’à aujourd’hui.

Des mots qui allaient définir leur futur, leur avenir au-delà des différences et des différends.

“Nous ne sommes qu’Un.”

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32 réflexions au sujet de “La dernière bataille des peuples”

    • Cette histoire m’a profondément émue car elle raisonne avec la triste actualité au proche Orient.
      Merci JP pour ce conte merveilleux aux saveurs de prière pour notre monde.

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  1. Bonjour Jean-Philippe,

    “la dernière bataille des peuples” m’a fait pleuré ! eh oui. J’ai été très touchée en le lisant. Je réalise tellement bien que se faire la guerre, ce n’est que refaire la même chose à l’autre et donc se faire mal sans arrêt. Cette fameuse vengeance qui ne guérit rien. MERCI à toi pour tout. C’est MAGNIFIQUE.
    Très cordialement,
    Michèle

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  2. Merci Jean Philippe, avec Amour je lis tes messages cela me fait tellement de bien à TOUT MON ÊTRE…
    De GRATITUDE ET REMERCIEMENTS avec NEAL de votre beau travail pour nous tous…
    Pauline de Sherbrooke Québec qui a tout les matins après quelques remerciements à tous ceux qui m entours dans l’invisible et à Papa Divin et mère Marie je te lis…
    💜💫🙏😁😇😊🫠🤩😘 et tu tombe toujours pile à ce que je vie..merci

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  3. Merci beaucoup Jean-Philippe 🙏🏻
    Puissent-les prières être suffisamment intenses, et le souvenir retrouvé de notre véritable origine commune suffisamment ressenti partout sur la Terre pour que ce que vous décrivez advienne plus rapidement.
    Il arrivera, j’en suis certaine, mais je prie que les esprits s’éveillent pour que cesse très bientôt toute cette souffrance que nous générons chacun dans nos propres vies par cet oubli terrible depuis si longtemps….et qu’enfin nous ne soyons plus que ce que nous sommes venus comprendre et incarner, Lumière Divine et manifestation sur Terre d’Amour inconditionnel, pur et éternel.
    Merci infiniment pour vos pensées et vos partages bienveillants, et de participer et d’accompagner depuis tant d’années, par vos traductions, écrits et engagements personnels, cet éveil des Âmes, qui toutes retourneront à la Source 🙏🏻🙏🏻🙏🏻

    Gratitude

    Servane

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  4. Merci pour cette histoire.
    Si seulement un tel évènement pouvait se produire aujourd’hui 🙏😊
    Très beau week-end à toi et merci pour tes enseignements qui sont d’une si grande aide.

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  5. Si seulement quelque part en Orient, aujourd’hui ce conte pouvait se révéler, là où deux peuples se déchirent depuis la nuit des temps … Il nous reste la “prière” à nous qui nous sentons impuissants. Peut-être quand nous serons suffisamment nombreux pour prier d’un même élan, comme ces femmes si fortes de ce conte, pourrons-nous assister à ce miracle. Je veux y croire et le simple fait de formuler ma pensée, me donne de l’espoir.
    Merci Jean-Philippe

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  6. Merci Jean Philippe pour ce conte merveilleux. Il m’a bcp ému pcq il me rend l espoir que ma petite prière quotidienne pour la paix entre les personnes en conflit ou peuples en guerre unie à celle d autres personnes qui prient pour la même intention constitue une force, une belle et puissante énergie qui peut contribuer à une paix véritable.

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  7. Merci Jean-Philippe,
    Les pensées sont créatrices alors si chacun pouvait ne plus être en guerre avec lui-même, il ne le serait plus avec les autres.
    Accueillons notre ombre pour laisser passer la lumière, c’est un peu ce que nous demandent aussi les saisons d’automne et d’hiver.
    A bien y regarder, il y a toujours une lumière au bout du chemin et nous pouvons cheminer ensemble. Plus nous serons nombreux à diriger notre regard vers ce passage d’espoir créatif, plus s’élargira le chemin lumineux.
    Soyons ces passeurs d’espoir et de lumière, en conscience dans notre unité, comme la pulsion de vie qui nous unit.

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  8. Merci beaucoup Jean Philippe, ces mots résonnent très forts en moi,parce qu’ils sont des possibles à expérimenter!!
    Nous y arriverons, je le sais….quand??? quand nous pourrons communiquer autrement que par les mots sans doute?
    Alors….dans pas si longtemps que ça après tout!
    Amitiés

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  9. Bonjour Jean-Philippe, tu es un formidable éclaireur. Je découvre aujourd’hui ce conte magnifique. J’ai pleuré d’émotion tout du long. Puisse-t-il devenir réalité !

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  10. Merci Jean-Philippe pour cette belle histoire riche d’enseignement en ces temps troublés.

    Oui, “ensemble c’est mieux” puisque nous ne sommes qu’UN !

    Choisissons la PAIX.

    Merci Jean-Philippe

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